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Road Movie

Sur le chemin, au-delà d’une trame dramatique qui se reconstitue peu à peu, il arrête le temps autour d’autres rencontres singulières, à la fois témoins d’une époque et échos de sa propre histoire.

Joël a mal. En mal de tendresse de ses parents défunts, noyés dans l’alccol. En mal d’amour qu’il s’épuise à chercher dans ces lieux obscurs où les corps se frottent en agitements masturbatoires et égocentrés. Brutal dans ses propos comme dans ses gestes, il s’est construit la carapace de l’homme, cow-boy avant tout. Joël est mal à l’aise dans sa mâle attitude imposée par une société machiste, voire une communauté gay qui érige le désir de l’apparence virile en fondement unique de toute relation.

Bien que pris au piège du paraître tout en en dénonçant les codes et les impostures, Joël appelle la tendresse, celle du sentiment qui porte le geste, comme la douce main caline et maternelle, comme le rouge-baiser ultime qu’ « aucune autopsie ne pourra effacer ».

Road Movie parle de l’intime et de son rapport au monde, de l’impasse dans laquelle le paraître et l’avoir ont précipité le sentiment humain. Pour ce faire, les arguments repris sont éclairants et intransigeants : le show-biz, la consommation, l’entreprise, la culture gay elle-même révèlent par endroit l’oubli de l’être. Le texte met à jour un monde social aux multiples fractures pour défendre son propos et apporter une vision pragmatique et sensible d’une alternative, comme une leçon de vie, pleine et chaleureuse. Pour cela, les références historiques des grandes blessures de nos sociétés (la guerre, le SIDA) servent l’écriture, mais sous un angle strictement intime et émotionnel. L’influence act-upienne, aux dénonciations parfois violentes, donne à coup sûr de l’intensité au drame qui se joue.

Mais si la pièce s’engage, cela reste au service de son objet premier : l’amour avant tout, malgré tout, comme seul ressort humain valable, avant qu’il ne soit trop tard. Amour filial dont il est beaucoup question sous des formes aussi surprenantes que boulversantes. Amour de la vie et de son mouvement perpétuel. Amour tout court des nombreux personnages attachants et parfois drôles qui traversent la pièce. Amour surtout, espéré, révélé, conquis et abouti, entre Joël et Scott.

Scott, justement. La clef de l’histoire, personnage rayonnant et gracieux, imprimé de la douce assurance de ceux que la vie illumine. Scott est un ange descendu sur scéne pour nous exhorter à prendre la route, avec Joël, vers notre intimité, vers ces parcelles de bonheur qui se cachent tout au fond de nous. Débarrassé des hardes encombrantes de nos deuils originels, nous retrouvons avec ces deux amants l’impulsion qui ramène au mouvement vital.

Adaptation française d’une pièce de Godfrey Hamilton, Road Movie est un texte riche, rare et engagé, où humour, poésie et lyrisme se mêlent avec bonheur au service de l’émotion. Mais c’est surtout un texte sublimé par un acteur, Jérôme Pradon, d’une énergie incroyable, qui évite soigneusement les caricatures pour nous livrer une foule de personnages qu’il habite tour à tour avec une justesse émouvante, et une dextérité surprenante. Seul, avec une lumière efficacement étudiée, il est servi par une mise en scène qui révèle tout son talent sensoriel et happe le spectateur dans un univers à la fois intime et physique, à la présence redoutablement incarnée. Un moment exceptionnel de théâtre, d’émotions et d’amour. A ne pas manquer.

Sudden Théâtre – 14 bis rue Sainte Issaure Paris 18e – Réservations au 01.42.62.35.00 – du mardi au samedi 22h, jusqu’au 26 octobre 2001.

Sudden théâtre



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