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TA MERE ! TA MERE ! TA MERE !

C’était dans un café plutôt quelconque : tables en Formica, tasses à café marron, petite cuillère douteuse et tordue, cendrier sale et serveur agacé. Deux types ont commencé à élever la voix. Je ne sais pas pour quelle raison l’engueulade s’est amorcée. Il s’agissait sans doute d’un truc anodin. En tout cas, ça a mis le feu aux poudres. Chacun voulait avoir raison, là il n’y a pas de doute. Comme il s’agissait de deux cons qui avaient dès le départ l’intention de se taper dessus, aucun des deux n’a voulu mettre un terme raisonnable à la fatale escalade. D’abord des menaces, vagues pour commencer, puis un peu plus précises : « je vais t’éclater ! » disait le plus âgé, un petit chauve qui portait mal ses quarante ans et sa surcharge pondérale. « Moi aussi je vais t’éclater. » répondait l’autre, manifestement plus jeune, en rajoutant « enculé », histoire d’émailler d’une humiliation bien sentie la menace de son aîné. Du coup, comme le plus vieux ne voulait surtout pas laisser dire qu’il était un enculé (ce qui était sans doute dans son esprit borné ce qui pouvait arriver de pire à un homme digne de ce nom), le ton est encore monté. Je crois que c’est à ce moment-là que les hostilités ont véritablement débuté. Je ne sais plus lequel a commencé à pousser l’autre. C’est toujours comme ça que ça commence une bagarre. Une bagarre d’hommes. On se pousse. Chacun son tour, de plus en plus fort, jusqu’à ce que la première châtaigne s’envole. Les filles, elles, se tirent les cheveux avant de se voler dans les plumes. Enfin il paraît. J’avais l’impression que le plus jeune, bien que toujours résolu à défendre son honneur, commençait à se lasser. Le chauve, beaucoup plus hargneux, a dû le sentir. Ca lui offrait l’occasion de mettre à l’épreuve la bravoure de son ennemi, en lui lançant un défi qu’il ne pouvait pas décliner : « Allez, viens te battre ! viens te battre dehors ! Allez viens dehors si t’es pas une gonzesse ! T’as pas de couilles, enculé ! » Ca doit commencer comme ça les guerres. Avec des histoires de couilles. Des couilles symboliques. En avoir ou pas, là est la question. Comme si la grosseur de ces deux glandes étaient proportionnelles au courage de celui qui les trimbale. Celui qui n’en a pas est une gonzesse (« gonzesse » est un terme misogyne péjoratif pour dire « fille » quand on s’adresse à un garçon). Enfin bon. Du coup, nos deux valeureuses andouilles se sont précipité dehors (avec l’aide non négligeable du serveur qui, armé d’un balai, les a un peu poussé vers la sortie). Une fois à l’extérieur, ils ont recommencé à se pousser plus violemment, ponctuant chaque bourrade de noms d’oiseaux. Un attroupement s’était déjà formé, mais à une distance respectable. On sait comment ce genre de situation peut se retourner contre celui qui, avec une bonne volonté pacificatrice, a la mauvaise idée de s’interposer. Je me disais : après tout, qu’ils s’étripent. Je crus que mon vou s’exauçait quand le petit gros brandit une bouteille de bière vide, qu’il avait dû choper avant de sortir du bar. Les gens faisaient des commentaires, prenaient des mines outrées, inquiètes, ahuries, ou bien des paris. La suite s’est déroulé extrêmement vite. La bouteille s’abattit tout droit, sans se casser, sur la tête du plus jeune. L’air surpris et l’arcade sourcilière fendue, il devint d’abord livide en voyant qu’il saignait. Puis furieux, il se jeta sur son aîné, le renversa à terre en le bourrant de coups de poings et de coups de pieds. Le chauve était à terre et essayait de se protéger. « Ta mère ! ta mère ! ta mère ! ta mère ! ta mère ! » qu’il gueulait. Moi je me demandais : Ta mère quoi ? J’attendais qu’il dise la suite. je ne sais pas moi : ta mère la pute, ta mère elle suce des bites en after, ta mère c’est ton père. Enfin, un truc qui mette vraiment en cause la vertu de cette brave dame, chose qui met les fils hors d’eux. Finalement, j’ai compris que ce laconique « ta mère » voulait tout dire. en particulier le pire. Du coup, l’autre, qu’on cite sa mère, comme ça, ça lui redonnait de la haine. Hors de lui, il mit en plein dans le mille dans la gueule du gros. Une patate en plein dans son groin, qui se mit à pisser le sang aussi. Et là, tout s’arrêta net. Au premier sang, comme on disait dans les duels. Chacun le sien. L’honneur était sauf. Sans doute. Alors chacun repartit de son côté en s’essuyant comme il pouvait. La foule se dispersa aussi vite qu’elle s’était rassemblé. Le spectacle était fini.

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GUS #06

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