D’abord la forme. Pour ceux qui auraient, auront, du mal à accrocher au style Dustan, quelles clés donner ? En réalité, il n’y a pas de style, pas de « bien-écrit » chez Dustan (s’il y en a un, il est à trouver dans sa poésie, les pages les plus intimes du livres). Parce que le bien-écrire, en littérature française, c’est Proust. La phrase proustienne a emprisonné la littérature française pendant presque un siècle (cf Rinaldi et autres sous-Proust). Jusqu’à Duras, jusqu’au passage de la mélodie à la mélopée, lancinante, primitive, aucun autre écrivain n’a réussi à imposer un rythme propre (même si Sagan a très clairement ouvert la voix à la reine Margot).
Or Houellebecq, comme Ravalec ou Despentes, restent inscrits dans la filiation de la phrase proustienne, ou flaubertienne, certes en l’ assassinant chacun à sa façon, en la blanchissant, comme le premier, jusqu’à la vider de son poids historique si chargé de fastes bourgeois périmés, en bien en la transportant, comme les seconds, dans un univers social où elle apparaît déplacée. Dustan, Angot, ce sont les deux durassiens. Chez Angot, il y a l’accélération, la syncope, la mitraille. Chez l’autre, le phrasé. Le rythme, la musique, oui, mais le phrasé avant tout, du chant français, Saint-Saens, Verlaine, Laforgue… Alors minimalisme, oui, puisque les enfants de Duras se refusent aux séductions trop baroques de la harpe proustienne. Mais minimalisme lyrique. Car si la phrase courte est orale, elle se fait presque un chant, poème en prose, vers blancs honnis du style classique. Chaque phrase, si souvent à double sens, fait entité(s), monde(s), poème(s), syllabe par syllabe, même, comme on détachait à la lecture les symbolistes, Maeterlinck, Debussy.
Parce que D, comme ceux-là du tournant de l’autre siècle, est un écrivain de la malédiction. D n’écrit pas, il brame, il pleure, en chantant, en soufflant, en criant sa rage et sa colère. C’est un écrivain noir, D, un écrivain du gospel. C’est un écrivain juif, D, un mur des lamentations. C’ est certes un écrivain minimaliste, un écrivain du non-style, mais alors d’un minimalisme lyrique (à preuve, la musicalité permanente de son style, à laquelle il suffit de tendre l’oreille, comme d’autres tendaient la joue). D est un musicien, mais ses notes, ce ne sont pas celles, habituelles, du français scolaire, universitaire, du français des salons. Ce sont celles de la rue, des mots de la rue, qu’il utilise, dont il joue. C’est l’oralité de son temps qu’il écoute, jusqu’au dernier mot nouveau, jusqu’à la dernière expression branchée, à la mode, jeune, comme ces grands couturiers qui descendent dans la rue pour voir ce que les vraigens portent.
Le fond ? Un roman, un vrai, c’est-à-dire du genre sans, dans forme et sans fond, fourre-tout, ouvre-têtes. Mais depuis GD, bien plus essai que roman, le travail, même si le texte (et il serait ici pertinent de redire Barthes à propos de cette littérature post-post-moderne qui vient nous prouver que non, tout ne s’est pas fait dans l’expérimentation) se trouve à mille lieues de l’essai classique.
Alors il fait quoi, D, en réclamant la parité jeunes-vieux en politique, la transformation du Sénat et de l’Assemblée en Chambre des minorités ? Quand il dénonce l’ascétisme de tout un système qui n’assiste pas, ne soigne pas, pour des raisons idéologiques, religieuses, un système sans communauté qui lâche ses pauvres, invendables au marché. Quand il se fait anthropologue de la liberté en dénonçant l’hétéro-sexualité imposée par les théocraties anciennes ? Quand il se fait le porte-voix des nouvelles identités du Plaisir, et grand-gourou pour de rire du « Party People » affranchi, des branchés de tout acabit ? Quand il réclame des campagnes d’incitation à la bisexualité, payées par les pouvoirs publics ?
D fait son travail.
Comme nous, il est fils du verbe, et il s’en sort, comme il peut.