À la rentrée dernière, je déversais mon fiel de truie urbaine sur la province archaïque. On se ferait chier à cent sous de l’heure dans ces minuscules villes de 200 000 habitantes et le désert y serait sexuel.
Je me posais la question bien parisienne de l’évolution de la province, quitte à me complaire dans ma polémique. Il me semblait que, plus le temps passait, plus les gays devenaient visibles et moins on sentait la province évoluait. Je donnais l’exemple de Montpellier, ma ville natale, ou le nombre d’établissement est identique à celui d’il y a dix ans. Mauvaise fille, je disais que la province faisait tout pour rester provinciale et ringarde.
Aujourd’hui, la question s’inverse. Un internaute de Citegay avait répliqué : « Mais est-ce cela la vrai vie, sortir tous les soirs dans des lieux enfumés, impersonnels, froids, sans âmes où la plupart des gens se dévisagent sans s’adresser la parole? Ou alors aller dans une ville de 250000 habitants avec un coeur de ville sympa où les cafés sont ouverts sur la rue et où hétéros et homos se mélangent, une ville où l’on ne drague pas que dans des lieux fermés, où l’on rencontre les gens que l’on a vu la veille en club chez son boulanger, à la poste, à la mairie etc… ».
Faut-il, comme disait Angot, que la cybercochonne quitte la ville ? Installer sa porcherie d’été en province ? Retrouver le calme et la volupté, son auge natale ? Après une phobie rurale de bon aloi, voilà donc un peu de racisme capital. Comme ça, je vais me faire des copines de partout-partout. Quitter la cité pour paître au bord de la mer, les près dorés. L’espace, le ciel en tout lieu, le soleil intrinsèque. Ne pas vivre circonscris du soir au matin. Ne plus être monochrome et terne, sans lumières. Réaliser enfin : le bleu, les corps, le vert et le jaune aussi. Voir la terre et le soleil qui tourne autour.
Une année, lorsque j’ai appris ma séropatata, j’habitais le Marais, je n’avais même pas vu le printemps arriver. C’est un matin que j’ai observé, surpris, les arbres recouverts de plein de choses vertes, oulala. Le Marais me devient étouffant. Je m’y enfonce. Précipite. La cochonne mûrit-elle ? L’effervescence est perpétuelle, stupéfiante et capiteuse. La défonce est constante. Des Heures Joyeuses à vous rendre alcoolique (a)social. La drogue qui exsude des porcs. Il en faudra combien qui s’endorment à jamais dans leur rêves pour comprendre ? Des Jouets Sexuels nous sommes tous. Pendre un premier X, aller à la gym, se faire un tatoo, devenir séropo, c’est le parcours classique du jeune pédé parisien normal. L’argent et le sexe deviennent des monnaies d’échanges. Une vitrine de supermarché. L’autre est un produit, à consommer. Sur place ou à emporter. Ce qui compte, c’est l’apparence. Nous devenons des images. Vidé du dedans, par nous même, le monde que nous nous sommes crées. Ou subissons. Le Rungis du cul. Nos lieux de vie, vénaux. Nous, des marques. Les backrooms en bouquet de condylomes épanouies sur le cul de Paris. Les soldes, les invendus. En être, à vingt ans, à son double fist. Pour certains, faire l’amour signifie baiser debout, habillé, défoncé, dans le noir. Ah oui ? À Paname, on a le choix. De tout. Donc de rien. Des corps et des sexes. À foisons. Alors il en faut toujours plus, plus gros, plus fort et profond. Ne jamais s’arrêter, changer sans cesse de mari, d’amis et d’amants. Ne rien voir, les saisons, les autres, la vie.
Alors oui, partir, quitter la ville, pour ne plus se brûler, s’incendier du dedans. Ne plus s’aveugler. Mais comprendre, tout de même, que la vérité n’est pas ailleurs. Qu’il ne suffit pas de partir pour se découvrir.
Que notre vérité est en soi. Où qu’elle soit.
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