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« La recherche sur le vaccin n’est pas suffisamment financée »

Dans le cadre de l’année Sida, Grande Cause Nationale, le mois d’avril est consacré à la recherche. Delphine DORIER pour Sida Info Service a interrogé le Professeur Kazatchkine, Directeur de l’Agence Nationale de Recherche sur le Sida (ANRS). Nous reproduisons in extenso cet entretien.

Sida Info Service : Quelles sont les avancées de la recherche vers la découverte d’un vaccin ?

Pr Kazatchkine : Le vaccin préventif, qui empêche l’infection et s’adresse à la population générale connaît deux types d’avancées. La recherche fondamentale s’intéresse à la façon dont se présente les molécules du virus qui lui permettent de s’attacher aux cellules de l’organisme et les infecter. Le vaccin doit déclencher des réponses neutralisantes du virus qu’on appelle anticorps. Ces dernières années, les chercheurs ont appris énormément sur ces molécules mais nous ne savons pas produire des anticorps neutralisants. D’autre part, les chercheurs développent des candidats-vaccins de première génération. Ils n’empêcheront sûrement pas l’infection, mais les personnes atteintes bénéficieraient d’une réponse immunitaire beaucoup plus forte et d’une relative protection par rapport à la maladie. Son apparition serait repoussée de 15-20 ans donc les personnes retarderaient leur mise sous traitement, travailleraient plus longtemps et resteraient avec leurs proches. Ce vaccin est probablement faisable avec les candidats actuellement à l’étude dans le monde.

Sida Info Service : La toxicité des traitements du VIH peut entraîner à long terme des conséquences graves sur la santé, notamment des problèmes cardio-vasculaires. Existe-t-il des solutions envisageables pour y remédier ?

Pr Kazatchkine : Oui, il en existe pour les chercheurs industriels et, également chez les chercheurs du public. La recherche industrielle doit trouver des nouvelles molécules plus simples à prendre, plus efficaces sur les virus résistants et sans effets indésirables. Ces deux dernières années, une antiprotéase(1) est apparue (Atazanavir) qui n’entraîne pas d’élévation des graisses dans le sang contrairement aux autres. Les chercheurs du public doivent, avec les médicaments dont ils disposent, élaborer les meilleures stratégies de traitements en combinant les molécules existantes.

Sida Info Service : Le phénomène de résistance aux traitements prend-il de l’ampleur ?

Pr Kazatchkine : Oui, bien sur et ce n’est pas étonnant. Les médicaments n’éradiquent pas le virus. Même bas, indécelable, il reste toujours présent dans l’organisme. Quand un virus se multiplie dans l’organisme en présence d’un médicament, tôt ou tard ce médicament va sélectionner des souches résistantes. La résistance est un phénomène croissant, facilité par la non adhérence (2) et la mauvaise prise des traitements. Parmi les personnes traitées en France, environ 60% ont un virus résistant à au moins un des médicaments. 5% présentent une résistance à tous les traitements.


Sida Info Service : Les microbicides(3) pourraient être une alternative aux préservatifs. Une mise sur le marché est-elle bientôt envisageable ?

Pr Kazatchkine : Les microbicides ne sont pas une alternative aux préservatifs. Toutes les armes sont utiles pour faire de la prévention : l’information, l’éducation, la promotion du préservatif masculin et féminin, et peut-être un jour des traitements médicamenteux préventifs et les microbicides. Aucun moyen ne remplace un autre.

Une des difficultés de la recherche sur les microbicides est due à l’absence de test en laboratoire ou chez l’animal qui permettrait de prévoir une protection efficace. La vérité sort de la recherche clinique de phase 3 (dernière étape). Actuellement, cinq microbicides sont en phase 3 et quatre en phase 1 (préliminaire). Cette recherche bouge. Si elle aboutit, ce produit ne sera pas l’unique solution à la prévention pour deux raisons principales : le préservatif sera préférable aux microbicides pour certaines personnes, et le microbicide ne sera pas forcément disponible à grande échelle et à bas prix.

Sida Info Service : Les chercheurs disposent-ils de financements suffisants pour faire face aux nouvelles priorités de l’épidémie ?

Pr Kazatchkine : En France, les financements de la recherche sur les traitements, les stratégies thérapeutiques, les sciences humaines et sociales, les co-infections sont à la hauteur de ce que notre pays peut mobiliser comme ressources humaines. Par contre le grand défi actuel, la recherche sur le vaccin, n’est pas suffisamment financé. Des moyens supplémentaires permettraient d’augmenter le nombre de chercheurs sur cette question. Actuellement, l’Europe ne représente que 10% des financements de la recherche sur le vaccin VIH dans le monde. C’est inacceptable !

Sida Info Service : L’ANRS finance des recherches en sciences de l’homme et de la société. Quel est l’apport de ces études vis-à-vis de la prévention et de la prise en charge des personnes atteintes ?

Pr Kazatchkine : Considérable ! Depuis le début de l’histoire de l’ANRS, les études en sciences sociales ont été intégrées à l’ensemble des recherches que nous menons, contrairement aux autres pays comme les Etats-Unis. Ces travaux ont permis de nourrir la réflexion des campagnes de prévention : les enquêtes qui ont révélé le désintérêt, la démobilisation sur la question du sida, le retour des pratiques à risques en particulier chez les jeunes. Aujourd’hui on identifie les situations qui comprennent des risques de contamination et moins les groupes de personnes à risques. Dans les années 98 à 2001, l’ANRS s’est beaucoup investie dans les études sur l’adhérence, qui sont fondamentales. Elles ont permis de mettre en place des consultations d’adhérence. Elles ont aussi démontré que les usagers de drogues qui prennent des traitements de substitution adhèrent aussi bien que les autres aux traitements du VIH.

(1) Antiprotéase : classe de médicaments actifs contre le VIH/sida
(2) Adhérence : état dans lequel une personne atteinte intègre psychologiquement le fait de prendre un traitement.
(3) Produit qui s’applique localement pour empêcher le passage du virus d’une personne à l’autre

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Entretien réalisé par Delphine DORIER pour Sida Info Service

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