Intervention de
Jean-Luc Romero
XIIe Etats
gnraux d’Elus Locaux Contre le Sida
24 novembre 2007
– Conseil rgional d’Ile-de-France
Discriminations
et prcarit : le quotidien des
sropositifs
Madame la
ministre
Roselyne
Madame la
dpute
Mesdames
Mes chers
amis,
L’anne
t marque par deux vnements politiques majeurs : les lections
prsidentielles et lgislatives. Malheureusement le sida n’a pas t un sujet de
campagne comme on aurait pu le souhaiter. Il demeure indispensable que, dans les
annes venir, la lutte contre le sida demeure une priorit politique, une
priorit de sant publique. De mme, j’espre vivement que le groupe d’tudes
sida qui sera trs bientt constitu l’Assemble Nationale soit dynamique et
ait une vraie utilit pour relayer les attentes et revendications notamment des
associations. J’attends de voir et je demanderai un rendez-vous sa prsidente,
Marie-George Buffet, qui vient d’tre nomme.
Avant tout chose
et avant de passer aux sujets qui fchent
voyez sur l’cran derrire moi. Ils sont le rsultat d’une opration organise
pour la deuxime anne conscutive par le Banana caf
Bachelot
sant
et par ELCS. Pour la deuxime anne
de nombreuses personnalits ont accept d’tre reprsentes dans la
peau d’un personnage historique. La vente de ces
tableaux
intgralement reverse l’Institut Alfred Fournier
Alors n’hsitez pas et soyons solidaires ! Je voudrai simplement et trs
chaleureusement remercier
Michel
Turland
organiser cette opration et dpens beaucoup d’nergie
quand mme vous rappeler qu’ils font cela bnvolement et qu’ils ne gagnent
strictement rien. Le Banana caf a du cour et il le montre. Un grand merci
eux ! D’ailleurs ils nous invitent ce soir de 19h00 21h00 pour un pot
amical o j’espre vous y retrouver nombreux.
Entrons
maintenant dans le cour de mon intervention que j’ai souhait centrer sur discriminations et
prcarit : le quotidien des sropositifs . Cela fait 12 ans que les
Etats gnraux ont lieu, 12 ans que j’y interviens comme beaucoup d’entre vous
et que je ragis sur de nombreux thmes. Mais aujourd’hui je veux insister sur
un aspect de la lutte contre le sida qui me scandalise au plus haut point, qui
nous scandalise tous : les discriminations l’encontre des personnes
touches par le VIH/sida.
Les
discriminations et prcarit envers les personnes touches en
France
C’est sans doute
la question centrale
celle qui englobe toutes les difficults. Les malades trouvent-ils dans la
socit un espace o dire leur maladie ne les exposerait pas l’opprobre et aux
discriminations ? La socit actuelle est-elle prte vivre avec les
malades du sida ? La vie quotidienne est-elle adapte aux malades ou au
contraire les malades sont ils discrimins et mis au ban de la socit ?
Rien n’est moins sr et il reste tant faire comme vous le savez.
En France,
discriminations et prcarit vont souvent de pair. Or la prcarit vue comme une
consquence des discriminations, a une incidence dterminante sur les soins. Il
y a de faon vidente une corrlation trs forte entre soin social et soin
sanitaire. La dmarche vers le soin ne doit pas tre perturbe par la
non-satisfaction de besoins fondamentaux comme se nourrir, se loger, se vtir..
Or aujourd’hui on ne peut que constater que les personnes sropositives vivent
souvent dans des conditions sociales prcaires. Plus du quart des personnes
vivant avec le VIH/sida ont une invalidit reconnue ouvrant droit des
prestations, principalement l’allocation adulte handicape soit 621 euros par
personne et par mois soit moins que le seuil de pauvret . 43% des personnes
sropositives en ge de travailler n’ont pas d’activit professionnelle. Pire
47% d’entre elles ont moins de 760 euros par mois et 22% n’ont pas de logement
personnel. Ces chiffres font froid dans le dos. Imaginons la vie d’un malade, de
nombreuses questions se posent :
Quel accs aux
soins ?
La couverture
maladie universelle a t et reste une belle avance qui a permis un accs aux
soins pour un grand nombre de personnes dfavorises.
Mais il est vrai
que son caractre universel n’est pas aussi universel qu’on nous
le laisse imaginer. Ainsi, les personnes en situation irrgulire, les
sans-papiers en sont exclus et sont dirigs vers l’aide mdicale
d’Etat, dispositif rgulirement attaqu par certains responsables politiques
notamment cause d’un cot qu’ils estiment trop lourd pour le budget de l’Etat.
Ces critiques sont infondes comme l’indique un rapport commun de l’IGAS et de
l’inspection gnrale des finances de 2007. Mais alors pourquoi ne pas, tout
simplement, fondre l’AME dans
CMU
viter les attaques idologiques des plus extrmistes car l’intrt sur le plan
de la sant publique est bien prsent : cela permettrait notamment un
dpistage plus prcoce et ainsi une efficacit accrue des traitements. Je vous
demande, Madame la ministre, de rflchir cette
proposition.
Permettez-moi de
faire rfrence deux sujets d’actualit. Le premier concerne la rduction des
risques en direction des usagers de drogue : ELCS est signataire de la
lettre ouverte adresse l’initiative d’Act Up Etienne Apaire, nouveau
prsident de
est totalement indispensable que le prsident de
dans la politique de rduction de rduction des risques, politique sanitaire
dont on ne se rappellera jamais assez les immenses progrs qu’elle a permis et
que tu as toujours dfendue, chre Roselyne. Je remarque au passage que c’est la
premire fois depuis fort longtemps que le prsident de
Etats gnraux, Didier Jayle et Nicole Maestracci
s’y sont toujours exprims.
Le second sujet
d’actualit sur lequel je souhaite ragir est bien sr les franchises mdicales.
Sans juger l’ensemble du dispositif, je pense sincrement que la franchise est
un obstacle l’accs aux soins pour les malades atteints de graves pathologies.
Il est vrai que son montant est plafonn 50 euros par an mais qui peut dire
aujourd’hui si son montant ne va pas augmenter d’ici quelques temps ?
Sincrement je ne crois pas, et je sais que tu es d’accord Roselyne, que les
malades atteints d’une affection longue dure considrent le mdicament comme un
produit de consommation courante. Ils prfreraient bien souvent s’en passer. Je
crois sincrement que leur imposer cette franchise aura des consquences et
qu’il faut vraiment les exclure de ce dispositif.
Quel logement
pour les personnes touches ?
Un chiffre :
22% des personnes sropositives n’ont pas de logement personnel.
Pourtant
logement est une question centrale. Elle a une incidence trs forte aussi bien
sur la qualit de l’observance thrapeutique mais permet galement de s’engager
dans la voie de la rinsertion professionnelle.
Cette stabilit
est trs complique acqurir. Ainsi, l’accs au logement locatif dans le priv
est bien souvent impossible au regard des ressources de la personne et des
exigences des bailleurs (caution solidaire, dpt de garantie.). Il reste donc
se tourner vers le logement social mais, nous le savons tous, ils sont en nombre
insuffisant pour rpondre la demande de tous. Les dossiers individuels que
nous soutenons ELCS avancent bien trop lentement ! C’est pourquoi il
faut, je crois, instaurer une priorit absolue pour les sropositifs et plus
globalement pour les ALD 30 et les personnes handicapes dans l’accs au
logement social. Cette discrimination positive est totalement
justifie !
Se pose galement
la question du maintien dans le logement en cas de baisse de revenus ou
d’hospitalisation. Il faut une vraie coordination entre tous les services pour
viter la personne de perdre son logement. Globalement, pourquoi ne pas
dclarer immdiatement le sropositif, les personnes atteintes d’ALD30, les
handicaps, inexpulsables tant qu’une autre proposition de relogement ne leur a
pas t faite ?
Sur les
hbergements transitoires comme les appartements de coordination
thrapeutiques : oui leur nombre a t augment mais actuellement, on ne
rpond qu’ 10% des besoins. Bien trop peu ! Une augmentation massive du
nombre d’ACT doit tre finance par l’assurance maladie.
Quelle place dans
le monde du travail ?
Le sida rend
l’avenir trs incertain et reprendre un emploi est malheureusement souvent un
risque plus qu’une chance. Oui un risque ! Parce que si la personne ne
supporte pas la charge de travail impose
cause des effets secondaires des traitements
ce qui aurait videmment des consquences trs graves. Deux solutions
complmentaires s’offrent donc nous : il faut dj faire un gros effort
de formation des personnels mdicaux et paramdicaux la problmatique de la
rinsertion. Paralllement
permettre
RMI
un revenu d’activit pendant quelques mois. Cela permettrait la personne
d’avoir une sorte de droit l’essai. Et tout le monde y gagnerait. De toute
faon il nous faut sortir de la logique selon laquelle reprendre un travail pour
une personne touche serait un risque et pas une chance ! De
mme
travailler
est un vrai problme : comment grer la fatigabilit
amnagements ncessaires sont clairement insuffisamment mis en
ouvre.
Quel projet de
vie ?
Avoir un prt et
tre sropositif : voil un beau dfi ! Bien videmment, sur la forme,
je suis ironique. Mais pas sur le fond. L’accs l’assurance pour les personnes
touches dpend d’un rgime conventionnel. La convention Belorgey qui n’avait
pas atteint ses objectifs a t considrablement amliore par la convention
AREAS et je veux rendre hommage aux associations mais aussi l’ancien Prsident
de
Rpublique
beaucoup faire pour assouplir les conditions d’octroi d’un prt, vraiment
beaucoup.
Les malades dans
les DFA : une situation intolrable
Depuis quelques
minutes, j’voque des thmes : le logement, le mode du travail mais je veux
maintenant faire un examen particulier de la situation dans les dpartements
franais d’Amrique. En effet, je suis revenu il y a moins d’un mois d’une
mission organise par le Conseil national du sida en Guyane et en Guadeloupe. Je
ne vais pas rappeler les chiffres que nous connaissons tous, ils exigent une
raction urgente et vigoureuse des pouvoirs publics.
Mais j’ai surtout
t frapp par ce qui se passe dans les DFA : le mot discrimination y prend
tout sons sens ! Le sida y est ressenti comme une vraie honte et l’absence
de parole publique sur ce sujet ne fait que renforcer la stigmatisation.
Ainsi,
les personnes touches par le VIH/sida ne peuvent pas prendre la parole sous
peine de mort sociale et d’exclusion. Un exemple : mme dans les
associations de lutte contre le sida, aucune personne sropositive ne le dit
ouvertement en public ! Il y a un besoin urgent de mettre en place de
grandes campagnes permanentes contre les discriminations et pour l’acceptation
de la maladie. Les associations doivent d’ailleurs tre beaucoup plus impliques
dans ces campagnes. De mme, l’homosexualit est un vrai tabou et les personnes
sropositives homosexuelles sont frappes d’une vraie double
peine.
Globalement en
France, on voit qu’il est difficile de dire sa sropositivit, je dirai mme
plus difficile qu’avant. Plus difficile que lorsque j’ai appris ma propre
sropositivit, il y a 20 ans. Le dire revient accepter bon nombre de
discriminations dans la vie quotidienne, que ce soit au travail ou en matire de
logement. La dicibilit de la maladie, pour reprendre l’expression de AIDES, est
un chantier prioritaire sur lequel nous devons tous nous
mobiliser.
La libert de
circulation, des personnes touches dans le monde : la peur intolrable du
malade
Au niveau
international, les discriminations sont nombreuses.
D’abord, l’accs
universel la prvention et aux traitements n’est toujours pas assur malgr,
il faut le reconnatre des avances ces dernires annes.
Mais j’aimerai
insister sur un problme que les autorits internationales laissent s’empirer
dans une grande indiffrence : les restrictions discriminatoires la libert de circulation des personnes
touches dans le monde. Ce combat, ELCS le mne depuis longtemps comme d’autres associations Act Up Paris
et AIDES.
Le
constat est simple mais dramatique : dans prs de la moiti des Etats
membres de l’ONU, des mesures discriminatoires l’encontre de la libert de
circulation des personnes touches par le VIH/sida sont appliques. Dans 13 pays
dont les Etats-Unis et
Russie
d’entre sur le territoire national, mme pour un court sjour touristique.
Face
cette situation, la premire raction est forcment l’incomprhension, voire
l’incrdulit : l’heure de la mondialisation, voyager, s’installer dans
un autre pays est une chose normale et mme recommande pour l’ouverture
d’esprit, la connaissance d’autres cultures ou d’une langue
trangre.
Mais bien vite
l’incomprhension cde la place la colre, une colre lgitime. L’existence de
barrires lies au statut srologique VIH des voyageurs est intolrable :
en effet, comment accepter que plus de 32 millions de personnes soient prives
de leur droit lmentaire de libre circulation du seul fait de leur tat de
sant ? Comment accepter, par exemple, que les personnes sropositives ne
puissent lgalement se rendre au sige des Nations Unies, situ New York, donc
dans un pays qui refuse l’entre aux personnes sropositives, alors que l’ONU a
pour mission de promouvoir le respect des droits de l’homme au niveau
mondial ? Le sropositif n’est ni un criminel, ni une menace l’ordre
public !
Sur ce
sujet
bien des responsables en France – hier encore Rama Yade – et dans le monde. Mais
malgr ces rencontres
avance trop lentement mon got. Il est vrai que des signes d’espoir
existent :
Chine
lgislation en assouplissant les conditions d’entre et de sjour des
sropositifs. Nous allons rester vigilants pour voir si cette annonce sera
vraiment suivie d’effets car il faut rappeler que George Bush avait promis la
mme chose le 1er dcembre 2006 aprs une lettre ouverte que je lui
avais adresse. Mais rien n’a t fait depuis !
Globalement, ce
grave problme me parat trs rvlateur : aujourd’hui on n’a plus peur du
malade que de la maladie. Faudrait il rappeler que le sida n’est pas contagieux
et que nous avons les moyens de nous en protger ?
Ce combat sera
encore long mais il peut tre gagn avec l’appui de tous. Et franchement, Madame
la ministre, chre Roselyne, on a vraiment besoin de vous – on a besoin de
toi ! – sur ce dossier pour persuader le Prsident de
dossier bras le corps comme il sait le faire sur bien des dossiers.
Conclusion :
En thorie je
devrais conclure par des mots d’puisement et d’inquitude notamment avec les
lections municipales qui s’approchent car on sent – pourquoi le nier ? –
un dsintrt croissant des lus. Mais je prfre terminer par des mots
d’amitis et d’affection envers la personne qui nous fait le grand plaisir
d’accepter de conclure notre matine et je sais que sa tche n’est pas
facile : Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la sant, de la
jeunesse et des sports.
Chre Roselyne,
t’avoir mes cts ce jour me rappelle qu’il y a plus de 12 ans, tu tais dj
avec moi lors de la cration d’Elus Locaux Contre le Sida. Tu as t l’une des
premires croire en cette association et je n’oublie pas non plus que la
veille du lancement de l’association au sige de l’Association des Maires de
France, tu tais avec moi en train de prparer le discours ! Ce sont pour
moi – et pour toi j’espre
aussi ! – de beaux souvenirs, des souvenirs de militants de la lutte contre
le sida.
Mme si
aujourd’hui, il est aussi de mon devoir de t’alerter de nos inquitudes.
Je le fais avec
confiance mais aussi avec insistance.
En cette priode
difficile pour les personnes sropositives
toi.