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L’hutre et la perle

Il y a quelques annes, je suis tombe sur une interview d’Isabelle Huppert, et j’y ai lu: « On aime l o on souffre ». Cette phrase m’a marque. Par sa justesse. Par sa profondeur. Comme quoi, on ne fait pas des annes d’analyse lacanienne impunment!

Isabelle Huppert est une des comdiennes qui parle le plus intelligemment du paradoxe du comdien, que Diderot avait dj explor en son temps. Elle dit avoir le sentiment de disparatre au profit des personnages. Plus elle se montre, plus elle serait invisible. C’est le principe de la lettre vole d’Edgar Allan Poe*: pour disparatre, il suffit au comdien de changer d’enveloppe. « My name si nobody » No body. Mon nom est personne. Mon nom est « pas de corps ». Lacanien en diable! Mon corps appartient aux personnages. Puisque je les incarne, je leur donne chair. La mienne. Il n’est d’ailleurs pas rare que les acteurs se dfinissent souvent comme des ectoplasmes quand ils sont entre deux rles.

« On aime l o on souffre ». Si c’est vrai que c’est effectivement l o le bat blesse, l o il y a du manque, des failles qu’il y a de la place pour l’Autre, donc pour l’amour, il m’apparat de plus en plus vident que c’est galement l o on souffre que l’on cre. Telle l’huitre perlire de base qui dpose sa nacre, couche aprs couche autour du grain de sable intrus, l’artiste cre pour rparer. Le grain de sable agressant l’huitre, enrayant sa machine, l’oblige se dfendre, et fabriquer une perle. Son oeuvre d’art. Comme les gens heureux n’ont pas d’histoire, les huitres heureuses n’ont pas de perle. Je reviens encore et toujours cette citation limpide d’Annette Messager: « tre une artiste signifie gurir continuellement ses propres blessures, et en mme temps les exposer sans cesse. » C’est bien autour de la blessure que l’artiste tisse sa toile, cre son univers, labore sa pense.

Quand on crit, on sait bien qu’on le fait autour de points douloureux, que l’on a du mal rsoudre dans « la vraie vie ». Ce qui donne une ide de l’tat de souffrance dans lequel tait ce cher Marcel Proust! Souffrance amoureuse, mais aussi sociale. Un regard aussi prcis, mettant nu les mcanismes des rapports humains et amoureux avec autant d’acuit ne pouvait qu’engendrer de la douleur. Le seul moyen de la transformer, la cration.

Pourquoi le « sujet » numro un des crateurs est il l’amour? Toujours? Sans doute justement parce que c’est LA question insoluble par dfinition. Le sujet dont on ne fait jamais le tour. Et au fait, c’est quoi l’amour?

Les artistes polyvalents auraient ils plus de points de souffrance que les autres? Ou juste plus d’outils? Peut tre les deux, mon gnral!

Quoi qu’il en soit, c’est bien l o l’on souffre que a se passe.

L o l’on souffre qu’il est ncessaire, voire vital d’laborer un pense ou une oeuvre d’art.

L o l’on souffre qu’on a une chance de toucher les autres.

L o l’on souffre. L o l’on doute.

Les plus belles cathdrales ont t construites pour clbrer l’invisible.

Et moi? J’enfile des perles…

* La lettre vole », la nouvelle d’Edgar Poe a t tudie et analyse par Marie Bonaparte, puis Lacan. L’histoire est fascinante. Pour cacher une lettre qu’il a drob, un homme la change d’enveloppe et la pose en vidence sur la chemine de son bureau. Elle y est tellement visible, qu’elle en devient invisible. « Elle trne invisible au centre de l’espace » dit Henri Justin. Comme l’acteur trne invisible au milieu des rles qu’il incarne.

Caroline Loeb

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