Il y a quelques semaines, j’ai vu que Dynamic venait d’éditer en DVD la captation d’un très beau spectacle produit par l’Opéra de Liège en 2009, le Falstaff de Verdi, avec Ruggero Raimondi dans le rôle titre.
Mon sang ne fit qu’un tour. Car Ruggero, c’est un peu grâce à lui que j’ai découvert l’opéra.
Il y a un peu plus de trente ans, un après-midi de printemps, quelque part dans une province reculée, Mademoiselle Pacaud, professeur de lettres excentrique et inoubliable, emmena sa classe de seconde au cinéma voir le Don Giovanni de Losey.
C’est ce jour là que je suis entré dans le monde de l’opéra pour n’en plus jamais sortir. Et c’est Raimondi qui m’en ouvrit les portes, 30 ans avant d’incarner, à Liège, cet autre séducteur de légende, Falstaff. Alors, vous comprenez que j’avais vraiment envie de voir ce spectacle.
Si l’on dit parfois que Don Giovanni est l’opéra absolu, Falstaff est le miracle d’un compositeur de 80 ans qui s’était bien juré de ne plus rien écrire, jusqu’à ce qu’un librettiste de grand talent, Arrigo Boïto, finisse par le convaincre de mettre en musique Les Joyeuses Commères de Windsor, pétulante farce de Shakespeare,
Se prenant au jeu, Verdi déclara à plusieurs reprises qu’il avait composé exclusivement pour son plaisir, sans penser au théâtre ni même aux chanteurs, et s’était amusé comme un fou. Pour sûr, cela s’entend.
Rythme effréné, présence de nombreux traits auto-parodiques, orchestration d’un raffinement inouï, usage savant de la polyphonie et du contrepoint, Falstaff est le bouquet final d’une carrière prodigieuse et l’adieu, en forme de pirouette, d’un vieillard facétieux qui n’a rien perdu de sa verve. Somme des expériences artistiques de toute une vie, Falstaff résume tout l’opéra bouffe après s’être débarrassé de ses conventions, de ses mécanismes, pour le dépasser.
30 ans après son Don Giovanni flamboyant, Ruggero Raimondi est l’incarnation parfaite de cet autre séducteur : justesse de l’intonation, diction exemplaire, chaleur du timbre, on le sent merveilleusement à l’aise dans ce rôle qui semble avoir été écrit pour lui.
Virginia Tola, Sabina Puértolas, Liliane Mattei et Cinzia de Mola sont des commères hautes en couleurs tandis que le baryton Luca Salsi, à la voix ronde et cuivrée, interprète un Ford au ton juste et sensible. L’orchestre de l’Opéra Royal de Wallonie, clair et précis, se joue habilement des difficultés de la partition.
Le spectacle de Liège est une belle réussite. Débordante de fantaisie et d’invention, audacieuse et virevoltante, la mise en scène de Stefano Poda nous emmène dans le monde de la commedia dell arte, dans des décors vaporeux où dominent le noir et le blanc et où pointent les chapeaux pointus de Pierrot. Peut-être pour nous faire saisir que derrière la farce, se cache une leçon de philosophie bien plus subtile qu’il n’en parait : le monde n’est qu’une farce, et rira bien qui rira le dernier….
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