«Interdite d’exercer son magistère sur le terrain politique, l’Eglise a trouvé sur celui des mours et de la famille le moyen de continuer à contrôler les consciences et les corps», commente la chercheuse Martine Gross dans un article intitulé «Etre chrétien et homosexuel en France».
Que ce soit par volonté de pouvoir ou par résistance au changement, les trois religions monothéistes sont généralement vues comme hostiles à l’homosexualité, qu’elles perçoivent comme une «déviance» sexuelle, ou pire, comme une «abomination». Les autorités du christianisme, de l’islam et du judaïsme incitent en effet fortement leurs ouailles à taire leur penchant ou à le combattre, quand elles ne soutiennent pas les lois mettant en prison à vie les gays, comme en Ouganda. Le pape François vient d’ailleurs de refuser d’agréer l’ambassadeur de la France pour le Vatican choisi par François Hollande, au motif qu’il serait célibataire, sans enfant et. gay.
Sauf que depuis une trentaine d’années, des courants minoritaires existent au sein des trois monothéismes, qui ont fait l’objet d’un colloque qui s’est tenu les 16 et 17 mars, et qui bousculent (un peu) la donne.
Certes, les débats sur le mariage pour tous l’ont montré, les courants majoritaires des trois monothéismes ne sont pas prêts de célébrer des mariages homosexuels en masse. Le grand rabbin a eu des prises de position très fermes durant ces débats, tout comme le président des évêques français, le cardinal André Vingt-trois, qui a qualifié de «supercherie» la loi sur le mariage pour tous, reprochant au gouvernement de ne pas «reconnaître la différence sexuelle». Même «fermeture» du côté des autorités musulmanes, selon le chercheur spécialiste de l’homosexualité et de l’islam Ludovic-Mohamed Zahed, et d’autant plus depuis 2012, année qui selon lui aura constitué un «gros retour identitaire et un recul, une vraie contre-réaction des autorités, qui ont senti leur pouvoir leur échapper».
Mais avant que le projet de loi du gouvernement ne suscite une telle levée de boucliers de la part de nombreux croyants et pratiquants, il y avait eu quelques avancées pendant les années 2010 et 2011, avec des déclarations et gestes symboliques.
Le rabbin Michaël Azoulay a par exemple affirmé il y a cinq ans qu’il fallait réinterpréter le texte du Lévitique. La même année, un pas symbolique a été franchi du côté des musulmans quand l’imam Tarek Oubrou s’est joint à un Appel contre l’homophobie et la transphobie. Et l’année suivante, le grand rabbin Gilles Bernheim a signé la déclaration commune du comité IDAHO à l’occasion de la Journée mondiale contre l’homophobie.
Des associations religieuses ou culturelles «gays +1»
Des avancées qui ne sont pas étrangères au lent travail de lobbying et d’explication des associations religieuses ou comportant une dimension religieuse et ouvertes sur l’homosexualité, des églises ou mosquées «gay-friendly» et plus généralement d’un mouvement religieux progressiste qui fait doucement mais sûrement son trou.
- Le christianisme
Les textes sur lesquels s’appuient les autorités religieuses pour condamner l’homosexualité
Au sein du christianisme, l’Eglise catholique condamne les «actes homosexuels», différenciés des personnes elles-mêmes (cette distinction est introduite dans la «Déclaration sur certaines questions d’éthique sexuelle» du Vatican, aussi appelée «Persona Humana», et publiée en décembre 1975. Elle a été répétée dans d’autres textes, notamment en 1986 -«Homosexualitatis Problema»- et 1992 -«Catéchisme de l’Eglise catholique»), citant notamment les versets de Saint Paul, qui parlent de «rapports contre nature» et d’«infamie».
L’homosexualité est considérée comme un «comportement intrinsèquement mauvais du point de vue moral» et comme «objectivement désordonnée».
Seuls les anglicans, qui sont quand même la troisième confession chrétienne en nombre de fidèles, sont aujourd’hui très largement ouverts sur la question, à tel point que les églises occidentales acceptent dans leurs ensemble les couples de même sexe, nombre de ses prêtres allant jusqu’à bénir les unions.
«Oui les religions sont plus ouvertes aujourd’hui dans la mesure où, dans les années 1970, il n’existait rien d’un mouvement inclusif dans aucune des trois religions monothéistes», commente ainsi Rémy Bethmont, professeur d’histoire et civilisation britanniques, spécialiste de l’anglicanisme et co-organisateur du colloque «Homosexualité et traditions monothéistes».
Trois associations portent des revendications. David et Jonathan, pour les catholiques et Beit Haverim pour les juifs sont toutes les deux installées depuis plus de trente ans, alors qu’Homosexuels musulmans de France est récente -elle a été créée en 2010. Des associations qu’on décrit aussi parfois sous l’appellation «Gays + 1», car elles cherchent à concilier une dimension identitaire avec une autre dimension importante, à l’instar d’associations sportives homosexuelles (comme Aquahomo ou Sitébad), ou d’associations cherchant à concilier monde du travail et homosexualité (HomoSFèRe, Energay, Pole-in, Rainbhopital, etc.).
Loin d’évoluer séparément les uns des autres, et c’est une des choses qu’essayait de démontrer le colloque, ces mouvements se sont appuyés mutuellement les uns les autres. Avant de créer l’association HM2F, Ludovic-Mohamed Zahed a par exemple fréquenté régulièrement les réunions de David et Jonathan. A ses débuts, Beit Haverim avait quant à lui trouvé un discret refuge auprès du Centre du Christ Libérateur du pasteur Doucé.
Publication by > Beit Haverim.
Eglises, synagogues et mosquées «inclusives»
A côté de ces structures, existent aussi des lieux de culte. Ils peuvent être simplement «gay-friendly» ou complètement «inclusifs»: «Les églises inclusives sont des églises qui, même si elles sont ouvertes à tous, accueillent spécifiquement les minorités sexuelles. Elles sont différentes des églises dites gay-friendly qui sont seulement bienveillantes à leur égard mais qui restent avant tout des églises traditionnelles», écrit ainsi Martine Gross, ingénieure de recherche en sciences sociales au CNRS et co-organisatrice du colloque avec Rémy Bethmont, dans «Etre chrétien et homosexuel en France».
L’une des plus célèbres églises «gay-friendly» est sans doute l’église Saint-Merri, située au coeur du Marais à Paris, le quartier historique de la communauté LGBT.
- Le judaïsme
Les textes sur lesquels s’appuient les autorités religieuses pour condamner l’homosexualité
Les autorités juives du principal courant, le courant orthodoxe, mentionnent volontiers quant à elles les versets du Lévitique, troisième des cinq livres de la Torah, selon lesquels l’homosexualité serait une «abomination»:
«Tu ne coucheras point avec un homme comme on couche avec une femme. C’est une abomination.»
Ou encore:
«Si un homme couche avec un homme comme on couche avec une femme, ils ont fait tous deux une chose abominable; ils seront punis de mort: leur sang retombera sur eux.»
En août 2012, alors que le débat sur le mariage pour tous commençait à enfler dans la société française, son curé ouvertement en faveur de la loi, Jacques Mérienne, avait décidé de ne pas lire la prière universelle envoyée par le cardinal André Vingt-Trois aux évêques pour l’Assomption, qui y faisait une allusion.
Il existe aussi plusieurs églises inclusives, telles que le Carrefour des chrétiens inclusifs, qui revendique «l’accueil inconditionnel de toutes quels que soient leur sexe et leur orientation sexuelle» ou la Maison verte du pasteur Stéphane Lavignotte.
Côté juif, certaines synagogues ont développé des approches plus accueillantes, comme celle du Centre Maayan, à Paris. Ces lieux sont généralement affiliés à deux courants importants mais minoritaires du judaïsme, le courant «libéral» (ou «réformé») et le courant «massorti». Les rabbins français du courant libéral peuvent théoriquement célébrer des unions de même sexe, depuis une résolution prise en 2000 par la Conférence centrale des rabbins américains (CCRA), la plus grande organisation rabbinique du judaïsme réformé, qui a élu le 16 mars une femme rabbin ouvertement lesbienne à sa tête. Aucun rabbin français n’a pour l’instant béni des couples homosexuels, mais l’idée fait son chemin et la question est reconnue comme «légitime».
Enfin, côté musulman, il existe en France une mosquée inclusive, dont on a beaucoup entendu parler lors de son ouverture, en 2012, dans la maison d’un moine bouddhiste. Le projet a été porté par Ludovic-Mohamed Zahed, et essaimé depuis à Marseille. Dans cette mosquée, les femmes ne sont pas séparées des hommes, et des unions homosexuelles peuvent y être célébrées.
L’homosexualité, une «variante minoritaire» de l’humanité mais pas une maladie
Par-delà le travail d’accueil des homosexuels chrétiens et de lobbying auprès des institutions religieuses majoritaires, les associations et lieux de culte inclusifs ou gay-friendly poursuivent aussi un travail de fond, sur les doctrines et les fondements théologiques des trois grands monothéismes. Il s’agit notamment de relire les textes sacrés, pour apporter un nouvel éclairage ou une interprétation plus précise.
- L’islam
Les textes sur lesquels s’appuient les autorités religieuses pour condamner l’homosexualité
Les représentants de l’islam font quant à eux référence aux passages du Coran sur le peuple de Loth, peuple qui se livrait à des violences homosexuelles, et auquel Loth, qui est aussi un personnage de la genèse, aurait lancé:
«Vous vous livrez à cette turpitude que nul, parmi les mondes, n’a commise avant vous? Certes, vous assouvissez vos désirs charnels avec les hommes au lieu des femmes! Vous êtes bien un peuple outrancier.»
Ludovic-Mohamed Zahed tient ainsi à rappeler que «le Coran ne parle jamais d’homosexualité, ce terme a été inventé au XIXe». On y parle ainsi selon lui de deux choses: d’un côté, les «Mukhanath», des personnes décrites comme «efféminées», androgynes ou transgenres, que le prophète aurait accueillies avec bienveillance, et auxquelles il n’était pas hostile. De l’autre, le peuple de Loth, des hommes qui utilisaient le viol d’autres hommes comme une arme de guerre, mais qui, selon Ludovic-Mohamed Zahed, ne peuvent être assimilés aux homosexuels dans leur globalité. «On violait sur les champs de bataille. Et c’est toujours cela qui est condamné. Dans les versets qui parlent de Sodome et Gomorrhe, ils ajoutent dans certains corans « la cité des homosexuels », ce qui n’est pas dans le livre. Mais quel rapport entre ces gens qui violaient et ceux qui défilent pour demander des droits?», rectifie l’imam et chercheur.
Les rabbins orthodoxes ou du mouvement Massorti ont quant à eux essayé d’interpréter autrement l’interdit. «L’homosexualité étant indépendante de la volonté de la personne, celle-ci ne peut en être tenue pour responsable», résume Martine Gross.
Une option similaire est développée par certains théologiens chrétiens, comme le britannique James Alison, selon lequel «l’homosexualité est une variante minoritaire et non pathologique» de l’humanité, et non un choix qu’il faudrait réfuter ou une maladie qu’il faudrait guérir. Pour ce prêtre, si l’église reste campée aujourd’hui sur des positions anti-homosexuelles, c’est parce qu’elle a oublié que l’observation est plus importante que l’a priori, «comme à l’époque de Galilée». L’homme d’église a détaillé les fondements théologiques de sa thèse dans plusieurs ouvrages et notamment un article en ligne. Joint par téléphone, il nous explique:
«Toute culture religieuse a sa propre anthropologie d’apprentissage qui lui permet d’apprendre sans se détruire, apprendre que ce qui était vu comme une pathologie n’en est en fait pas une. Et Vatican II a enseigné qu’il fallait apprendre à partir de ce qui est. Or les examens scientifiques mènent tous aujourd’hui à cette même conclusion, qu’on ne choisit pas d’être gay, et qu’être homosexuel n’est pas pathologique en soi. Mais il y a beaucoup de lâcheté dans l’Eglise.»
Ces essais doctrinaux, ces associations et ces lieux de cultes inclusifs ont-ils eu une influence significative sur les structures dominantes des trois monothéismes? Dans quelle mesure sont-ils écoutés? Difficile de le dire, et les chercheurs ne semblent pas d’accord entre eux.
Le discours a certes un peu évolué depuis trente ou quarante ans que Beit Haverim et David et Jonathan existent, mais pas de manière radicale.
«Il y a toujours un double discours: on accueille tout le monde, mais si on se tient discret et qu’on regrette d’être homosexuel», critique Martine Gross. «Il y a une plus grande sensibilité des religions, elles ne sont pas hermétiques au monde qui les entoure», estime quant à lui James Alison.
S’il est difficile de dire l’influence qu’ils ont eu, il est certain en revanche que leur existence même et leur poids croissant autorise et facilite aux homosexuels la pratique de leur culte. Au final, tous ces courants auront largement permis à nombre d’homosexuels croyants et pratiquants de mieux s’accepter, alors que la coexistence d’une identité homosexuelle et d’une identité religieuse peut être vécue comme contradictoire et engendrer de réelles souffrances.
Comme Serge, qui affirme dans l’étude de Martine Gross «avoir pensé au suicide» parce qu’il s’est senti «partiellement ou complètement exclu de l’église». Ou comme Max qui «en veut énormément à la Torah» et se sent «en conflit interne avec Dieu toute la journée».
Si David n’a pas encore fait chanceler Goliath, ces associations auront permis de combler la «dissonance cognitive» qui existe entre leur foi et leur identité homosexuelle.