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ALAIN BOUZIGUES :  »J’aime être là où je ne m’attends pas moi-même »

Ce soir je me demande si je vais pouvoir assurer, car la journée a été particulièrement rude.
Pour tout dire après avoir travaillé sur la création d’éléments graphiques pour les nouveaux développements du site, rédigé quelques articles et traité vos courriers et vos appels téléphoniques, je me sens un peu valétudinaire *.
Rendez-vous avec Alain Bouzigues, le gay de service dans la série Caméra Café, dont l’adaptation cinématographique Espace Détente sort dans les salles ce Mercredi 2 Février. Tout un programme !
On ne sait jamais trop à quoi s’attendre avec un comique, d’où une petite appréhension de ma part, que je décide de désamorcer en le chambrant gentiment d’entrée .

Tof : Salut Alain, tu te sens comment à la veille de la sortie du film? Assez fatigué on dirait non ?
Alain Bouzigues : Ca se voit tant que ça ? [RIRES] Tu sais je marque extrêmement vite et même quand je suis en forme c’est un souci pour les maquilleuses!

Tof : Plus sérieusement tu te sens stressé?
Alain Bouzigues : Non pas vraiment. Il y a toujours cette dose de stress qui accompagne la sortie d’une nouvelle série ou d’un nouveau film.
Espace Détente est vraiment une nouveauté par rapport à Caméra Café. Bien sûr, on se demande si ce sera bien pris, mais finalement dans l’équipe on est globalement sereins et détendus, quoi qu’il arrive .

Tof : Comment est construit le film ? Egalement avec de petites histoires ? Je suppose que le titre indique déjà de grosses différences par rapport à la série.
Alain Bouzigues : Oui c’est sûr que faire tout un film autour d’une machine à café aurait été un exercice de style ennuyeux pour tout le monde, une grosse erreur.[RIRES]
Ici c’est autour de l’Espace Détente que tout est construit, mais en fait l’action ne s’y passe pas tant que ça finalement.
On découvre enfin la Veule, cette magnifique région dont on a entendu beaucoup parler sans jamais la voir. Il y a aussi le président, cet être fantomatique qui nous dirige tous.
Espace Détente une vraie comédie où on s’amuse beaucoup, construite comme la série, avec un début un milieu et une fin, mais bien sûr ce n’est pas uniquement un sketch.
Tout le monde est là et même les personnages pas forcément récurrents de la série, et puis il y a des guests, dont Thierry Frémont, et d’autres que je vous laisse découvrir.
Le pitch c’est : « Que se passe-t-il quand dans une entreprise de province où tout roule depuis de longues années, quelqu’un débarque et propose de délocaliser la fabrication du nouveau produit . »

Tof : Tu es co-auteur de Caméra Café . Ca veut dire que l’idée du personnage gay vient de toi ?
Alain Bouzigues : Non alors pas du tout !
Les créateurs de la série (Bruno Solo, Yvan Le Bolloch et Alain kappauf ndlr) avaient pensé à ce personnage d’informaticien gay, qui m’a beaucoup plu. L’idée était de représenter au mieux la société française à l’intérieur d’un microcosme particulier, c’est-à-dire une entreprise.
Il était donc logique que la communauté gay soit représentée.
Du coup, avec mon ami co-auteur Jean-Pierre Pascaud on s’est mis à écrire des épisodes, au départ centrés sur ce personnage en particulier, puis pour chaque personnage.
On a ainsi écrit 94 sketches sur les 700 qui composent Caméra Café.


Tof : Est-ce que tu crois qu’un gay doit fatalement être une folle perdue à tee-shirt rose dans une comédie ?
Alain Bouzigues : Absolument pas ! Dans le cas de Philippe Gatin, mon personnage, c’est une orientation qui a été vraiment prise par moi au départ et qui a été ensuite complètement assumée et poussée par Bruno et Yvan en terme de direction d’auteur.
On s’est très vite rendu compte que dans des sketches de 3 minutes 30, les 14 personnages sont un peu obligés d’être des « caricatures » de ce que ce que leur poste représente dans la vie. Par exemple le commercial est con comme une barre, picole et frappe sa femme, le comptable est coincé et puceau, enfin bref les commerciaux et les comptables ne sont pas comme ça dans la vie, même si ça doit exister …
De la même manière tous les pédés ne sont pas des folles et ce ne sont pas des langues de pute mais on en connaît beaucoup quand même. Ils ne s’habillent pas systématiquement de manière extravagante mais quand même on sait qu’ils attachent une attention particulière à la tenue vestimentaire …
On n’a pas voulu faire du gay un personnage lisse, propre sur lui, « normal ». On a choisi de montrer un gay qui s’assume totalement, pas une honteuse.
Deux cas de figure sont possibles pour l’unique gay d’une PME : soit il s’efface, soit il s’assume trop . Intéressant pour nous puisqu’ on a voulu traité le sujet sur le mode de la comédie !
Et puis on a aussi fait intervenir d’autres personnages gay dans la série, mais traités d’une autre manière. Par exemple il y en avait eu un complètement insoupçonnable : habillé nickel, marié avec des enfants, beau comme un dieu donc forcément avec toutes les nanas à ses pieds, sauf qu’il finissait carrément par se taper Philippe sur la photocopieuse !
C’est marrant mais je constate qu’en général les médias gay considèrent la représentation de la folle assez problématique alors que ce n’est pas un défaut, et d’ailleurs Philippe n’est pas toujours une folle.
En faisant la série puis le film, on n’a voulu faire plaisir à aucune communauté, quelle qu’elle soit . C’est pour ça que tous les portraits sont caricaturaux. Le thème c’est un peu « l’enfer c’est les autres », et la morale c’est tout simplement qu’il faut se respecter et s’accepter.

Tof : Malgré le format de la comédie, est-ce que ton personnage est quelquefois confronté à des problèmes graves, liés aux combats de la communauté ?
Alain Bouzigues : Mine de rien on a traité pas mal de problèmes graves.
Même si on part dans la caricature les situations de départ sont très plausibles. C’est compliqué de faire rire en parlant du Sida mais on en a parlé dans une histoire où tout était basé sur le test. Pour une question d’assurance tout bête, le personnage de Bruno Solo, Hervé Dumont, fait le test. Vu la misère de sa vie sexuelle, il n’a a priori aucune raison de s’inquiéter, et pourtant il flippe. La nouvelle se répand comme une traînée de poudre. Et une personne âgée rappelle qu’il faut absolument passer ce test régulièrement, en plus de se protéger.
Sur ce coup mon personnage est un peu un référent qu’on vient voir pour de bons conseils

Tof : Il y a des différences entre les personnages du film et ceux de la série ?
Alain Bouzigues :Le film retranscrit vraiment bien l’ambiance de la série. Par contre les personnages y sont traités de manière moins caricaturale, parce que ce qui est possible sur un plan fixe en télé n’est pas forcément possible avec le système du champ / contre-champ en cinéma.

Tof : Chaque personnage a le même poids, le même « temps d’antenne » que dans la série ?
Alain Bouzigues : Pas du tout, ça va être très surprenant d’ailleurs en l’occurrence. Il s’agit un vrai film avec une histoire, pas un grand truc collégial. Et tout a été écrit au service de l’histoire et donc les personnages interviennent en fonction de leur raison d’intervenir au sein de l’histoire. Le but était vraiment de raconter une histoire avec un début, un milieu et une fin. C’est une histoire forte, assez complexe même .

Tof : Tu parles de Caméra Café au Passé . Ca veut dire que c’est fini ?
Alain Bouzigues : Et oui ! Il peut y avoir une suite au film mais vraisemblablement pas à la série . On est déçu c’est sûr, mais enfin on a fait plus de 3 ans de tournages, 4 ans de diffusion, 700 sketches, c’est bien de passer à autre chose aussi .

Tof : Elle est diffusée dans combien de pays ?
Alain Bouzigues :Je ne suis pas forcément au fait de tout mais je crois qu’il y a une bonne vingtaine de pays, la Pologne, la Grèce, l’Italie .

Tof : Et le personnage gay existe dans tous ces pays ?
Alain Bouzigues :Oui, oui, alors bien sûr les sketches sont adaptés là-bas, dans l’humeur du pays, donc ce n’est pas forcément joué de la même manière. On ne parle pas des gays de la même manière en Grèce qu’en Italie.

Tof : Tu as commencé par du classique et des rôles dramatiques au théâtre . Le comique était un but pour toi ou c’est arrivé tout à fait par hasard ?
Alain Bouzigues :J’ai effectivement depuis toujours eu cette habitude de faire marrer et ça a toujours été en moi. Si on regarde ma carrière j’ai fait plus de choses comiques que dramatiques.
Ce que j’aime dans mon métier c’est de ne jamais être là où on m’attend et surtout de ne jamais être là où je m’attends moi-même. C’est vrai que je me suis aussi beaucoup laissé porter par les rencontres que j’ai faites. Ca ne me dérange pas de jouer Electre de Sophocle, tout en tournant une caméra cachée pour Surprise Surprise. Je suis transculturel voilà tout …

Tof : Et s’il fallait choisir entre cinéma, télévision et théâtre ?
Alain Bouzigues : J’adore tout moi [SOURIRE]. Non mais c’est vrai. Ce qui est intéressant en tant qu’acteur c’est de pouvoir passer d’un habit à l’autre, puis d’un support à l’autre. Je n’ai vraiment aucune barrière là-dessus. Il y a 20 ans si on était acteur et qu’on tournait dans une pub on était grillé dans le métier. Il y a 15 ans quand je faisais mes premières caméras cachées, les gens avec qui je bossais en théâtre me disaient que j’étais fou. Aujourd’hui ça ne se passe plus comme ça …
On ne fait pas le même métier de la même manière suivant qu’on le fait à la télé, au cinoche ou au théâtre, c’est qui me plaît vraiment.



Tof : Les caméras cachées, ce doit être une expérience hors du commun, une confrontation directe avec le public .
Alain Bouzigues : Oui, c’était extrêmement passionnant par ce que ça me donnait l’occasion de voir tout de suite si on j’étais crédible dans la peau d’un personnage de la vie de tous les jours en restant naturel et surtout sans verser dans la caricature, ou alors avec une énorme dose de sincérité.
Ce que j’ai d’ailleurs essayé de rendre aussi dans Caméra Café.
Pour moi il n’y a rien de plus fort que de vivre ce métier comme une vraie aventure et de le laisser se dessiner au fur et à mesure. En général on réfléchit trop souvent.
Moi j’ai vu des gens refuser de venir jouer un rôle d’homo dans la série, pour un sketch, car ils pensaient certainement que ça allait griller leur carrière

Tof : Ca existe encore ça ?
Alain Bouzigues : Ouais ça existe encore. Et c’est pour ça que moi j’ai décidé de l’assumer encore plus, c’est-à-dire non seulement de dire que j’étais moi-même homosexuel. Je suis allé à fond dans la caricature car vraiment à un moment où on n’en a plus rien à foutre. Ce que vont penser les gens de moi m’intéresse peu du moment que je sers à fond mon propos et mon travail d’acteur. Si ça me grille ça me grille . Sinon tant pis pour moi je ferai autre chose après. Je pense avoir assez de capacité à me retourner – et je ne fais pas de mauvais jeu de mot [SOURIRE] pour m’en sortir .

Tof : Tu n’as pas peur qu’on ne te propose plus que le rôle du pédé maintenant ?
Alain Bouzigues : Si bien sûr, c’est enfermant .Quand on est 4 ans à l’antenne dans une série qui fait 4 millions et demi de télespectateurs tous les soirs, les gens vous voient d’abord comme un personnage homo. A moi de me détacher de cette image en faisant un truc bien différent après. Et puis c’est un peu le même problème pour les autres personnages de la série aussi

Tof : A la télé et au Cinéma on sent une volonté de représenter toutes les minorités, qu’elles aient des choses à dire ou pas. On le voit avec Queer, quelques personnages secondaires dans des séries, et même . Crois-tu qu’on se dirige vers un système de quotas et qu’est-ce que ça t’inspire ?
Alain Bouzigues : La vraie question est « à partir de quand est-il légitime de mettre un gay ou pas dans une histoire, ou dans un programme télévisé ? .
Qui peut décider ça à part l’auteur ?
Pour Caméra Café ça nous semblait légitime puisqu’on a voulu représenter une micro-société. On a du Bi, on a eu de la lesbienne, de l’homo, de l’hétéro, tout le monde y passe à un moment ou à un autre !
Moi je trouve plutôt bien qu’il y ait une émission comme Queer sur une chaîne « généraliste » ou une chaîne « hétéro » si on doit réduire les choses à ça. Si le produit est bon, si la série est bonne, si le film est bon quelque part je me fous qu’il y ait un gay dedans ou pas. Si c’est un acte uniquement commercial évidemment c’est pas valide, mais comment s’en rendre compte surtout si à l’arrivée finalement le produit est bon ?
Je ne crois pas qu’il faille imposer des quotas. D’ailleurs en même temps est-ce qu’être gay c’est être juste une minorité finalement? Je ne me sens pas faire partie d’un truc en réalité. Que je sois homo ou pas ça ne change pas tant de choses que ça à ma vie . Je lis de la presse gay ou pas, je regarde des films avec des gay ou pas, je suis peut-être une exception mais je ne pense pas que parce qu’on est gay on est obligé d’avoir l’oil sur ce qui se fait de gay.
Tu vois par exemple j’ai une copine hétéro qui s’est abonnée à Pink tv alors que moi je ne le suis pas . Ca me semble correct comme façon de penser. Non vraiment ce n’est pas parce qu’on est gay qu’on doit être abonné à Pink et qu’on doit regarder Queer .
Je crois que c’est bien qu’il y ait des médias qui traitent de ce qui touche à la gaytitude mais ne traite pas que de ça non plus . J’aime bien l’idée qu’il y ait des émissions purement gay dans des médias qui ne le sont pas. L’idée c’est d’aller vers une diversité, un mélange et un brassage de tout.

Tof : Quels sont tes projets pour la suite ?
Alain Bouzigues : J’ai des pistes. On va voir celles qui vont se concrétiser . Je suis un peu superstitieux donc je n’ai pas vraiment envie d’en parler. Enfin j’ai un beau projet de théâtre qui me tient à cour toujours dans la comédie, et pas forcément un personnage gay. D’ailleurs si je dois jouer prochainement un personnage gay, j’aimerais bien qu’il ne soit pas dans une comédie pour changer .

Tof : Un film d’horreur ?
Alain Bouzigues : Aaaaaah là ça c’est mon rêve . Je ne sais pas pourquoi t’as dit ça, tu le savais ? En fait j’avais un très beau projet qui ne va peut-être malheureusement pas se faire dans ce domaine. Mais le cinéma d’horreur c’est un endroit où j’aimerais bien qu’on me retrouve vite !

Merci Alain on attend donc de te voir bientôt sur les planches, et on te souhaite plein de succès avec Espace Détente

L’interview finie je m’apprête à retrouver la rue froide et venteuse pour retrouver l’appartement réconfortant de mon chat Waldo (et oui je vis chez mon chat !).
Je souris intérieurement en repensant à ma petite appréhension post-interview : finalement les comiques ne sont pas tous tristounets dans la vie comme on le dit . Alain est un passionné et ça se sent tout de suite !
Espace Détente promet un agréable moment de bonne humeur, forcément un succès s’il suit l’exemple de la série .
Quant à moi je ne me sens plus vraiment valétudinaire* .

* Valétudinaire : adj. Et N. (lat valetudo, -dinis, mauvaise santé). Litt. Qui a une santé chancelante ; maladif (petit Larousse), mot employé dans un des épisodes de Caméra Café (comme quoi on peut se divertir et apprendre des choses, à condition bien entendu de se donner la peine d’ouvrir un dictionnaire)

ESPACE DETENTE, sortie au Cinéma le
Février 2005

Bande Annonce visible
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Et visitez le site d’Alain Bouzigues ici




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