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« Invisible », le témoignage d’un séropo

Dans le cadre du Sidaction qui perdure jusqu’au 15 avril, nous produisons ci-après le témoignage de Thierry, séropo depuis 1993. Un témoignage direct, brut, ni cornélien ni romancé, humain, sur une pandémie mondiale qui touche avant tout à des destins individuels.

INVISIBLE

Parler du SIDA n’est pas chose facile. Le vécu de chacun en fait une expérience singulière et avant tout individuelle. C’est pourquoi mon point de vue ne s’expose qu’en exemple dans l’océan de la maladie et des différentes manières de l’appréhender.

A vingt trois ans j’apprenais ma séropositivité. En pleine fleur de l’âge donc, mon avenir se trouvait prisonnier des griffes d’un paradis perdu. Onze ans plus tard je suis toujours en vie. De nombreuses étapes ont été franchies durant cette longue période de sursis. La visibilité en tant que personne atteinte du VIH est une de ces étapes, et non des moindres. Actuellement elle reste encore partielle. Ma famille et mes amis sont au courant depuis le début. L’annonce de la contamination fut un cataclysme. A l’époque seul l’AZT circulait sur le marché. Les populations touchées par le virus mouraient en masse.

La psychose baignait le monde entier dans un terrible effroi. Je pensais alors mourir dans le courant de la première année. Issu d’un milieu rural, j’étais absent depuis longtemps du village où j’avais grandi. Néanmoins la rumeur se propageait comme une traînée de poudre.

Le regard de mon entourage se modifiait nettement. Le mien également, bien entendu. Les craintes liées à la méconnaissance des modes réels de transmission du virus d’une part et de la maladie globalement d’autre part, contribuaient à créer un climat de confusion totale autour de moi.

Certaines personnes s’éloignaient. D’autres me restaient fidèles malgré une mort annoncée foudroyante.

Je savais que le chemin serait ardu. Je n’imaginais pas à quel point l’épreuve serait rude cependant. Survivre devenait la priorité. Vivre devenait un luxe. Ni espoir, ni renoncement. Telle est ma devise depuis cette époque.

Ma vie relationnelle fut bouleversée. J’apprenais alors l’art de la dissimulation afin de me préserver de toute discrimination.
Homosexuel depuis l’adolescence, cacher la vérité était une seconde nature. Le SIDA devenait une strate supplémentaire à une situation déjà bien complexe.
Ainsi depuis 1993 l’ensemble de mes échanges humains était faussé.

Exposer son état de séropositif, quel que soit le contexte demeure un risque majeur.

Les traits de la maladie sont désormais bien réels sur mon corps et mon visage.
Ils provoquent la peur dans le regard des autres et souvent une forme d’exclusion. Cette saloperie vous anéantit plus que tout au monde. Surtout lorsqu’il s’agit du regard de l’homme que l’on aime.

J’aurais préféré ne pas survivre à cet enfer. Loin des idées reçues sur le miracle des trithérapies, le SIDA n’est pas une sinécure. Bien entendu les nouveaux traitements permettent de vivre sur un plus long terme et 6O% des malades ne meurent plus. Certes.

Mais que faire lorsque cette maladie, considérée bientôt comme une banalité, détruit progressivement le quotidien, le lien social, l’amitié, le potentiel professionnel, la capacité de se projeter, la sexualité, la confiance en soi, le rapport à son propre corps, l’amour.

La presse spécialisée et le milieu médical se félicitent des progrès de la médecine en terme de chiffres. Mais qu’en est -il de la réalité isolée des malades, de leur état croissant de précarisation ? La question se pose à l’heure du déclin des valeurs sociales, du déni de la société et des gouvernements successifs, du discours normatif sur la possibilité d’exercer une activité professionnelle dans des conditions classiques, des bénéfices outranciers et insultants des laboratoires pharmaceutiques face à la vérité tragique constatée sur le terrain ; alors qu’on parle de plus en plus du VIH comme d’une vulgaire maladie chronique. De qui se moque t-on ?

J’arpente depuis de nombreuses années les dédales du monde du travail et les lois du libéralisme économique où la santé et la performance règnent en maître. Trouver une place dans cet univers impitoyable est un véritable parcours du combattant. Sur le marché de l’emploi un séropositif avéré n’a aucune chance, aucune légitimité en terme de productivité, même si certains trouvent le courage et tentent l’expérience. Mais à quel prix ? Celui du non-dit et de la clandestinité.

Exister c’est avant tout assumer ce que l’on est afin de créer sa propre identité.

Compte tenu des circonstances et d’une certaine forme d’aliénation dû à ce statut de malade, je pense qu’il est impossible d’évoluer librement aux yeux du monde.

Il n’y a rien à apprendre de cette maladie, aucun enseignement, excepté peut être le fait de découvrir la part du monstre qui est en chacun de nous. Celle qui fait de nous des mutants à part entière, une espèce curieuse, un mystère, une menace, ce côté obscur qui nous terrifie et nous fascine à la fois. Terreur car elle nous mène tout droit vers le couloir de la mort.

Fascination parce qu’elle représente l’inconnu et surtout le danger, donc l’interdit. Et comme chacun sait transgresser les règles est dans la nature de l’individu.

Voici probablement un début d’explication dans le domaine du comportement sexuel et notamment de l’exposition au risque de plus en plus fréquente, sachant de surcroît que le désir et la sexualité sont les lieux de l’abandon et de la perte du contrôle de soi.

Quoiqu’il en soit une partie de moi reste humaine. C’est intolérable. Je n’ai pas le choix. Je suis vivant et c’est à ce titre que je réclame un minimum de considération afin de vivre dans la dignité.

Thierry Depaepe.

EN SAVOIR PLUS

Nos articles précédents sur le Sidaction :
Le Sidaction continue jusqu’au 15 avril !
Sidaction 2005, Top Départ
Sidaction 2005 : Mobilisez vous contre le Sida !

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