Communiqu de presse
TaPaGeS (TransPdGouines de Strasbourg) Le 27 octobre 2006
http://tapages67.org/« S’il existe quelque part un[e] esclave…
…il existe quelque part un tyran ; ma libert n’est donc pas
entire, elle est compromise, elle exige l’extirpation totale de la tyrannie et
de l’esclavage. »
(A. Cloots, 1793).
Il y a un an, trois jeunes, poursuivis par les flics, s’engouffraient dans un
transformateur lectrique.
Deux devaient mourir. C’est ballot. A-t-on ide de se rfugier dans un
transformateur lectrique lorsque la police rpublicaine fait son mtier, avec
la dlicatesse qu’on lui connat ? Il y a un an, Sarkozy allait se pavaner :
« Krcher, racaille »…, mentant tout son saoul, foulant la mmoire de deux
gamins morts parce que jeunes, « arabes » et des cits. Il y a un an, le PS
acquiesait l’tat d’urgence, mesures d’exception dcrtes par l’UMP,
extirpes de la guerre d’Algrie pour prvenir les agissement des meutiers. Car
en l’espace de quelques jours, dans les banlieues, la colre, inorganise,
devenait enfin visible.
Nous l’avons trouve juste et belle, cette rage. Et salvatrice. Mais chaque
jour aggravait notre malaise : nous tions dsemparEs (que faire ?), embtEs
que ce soient des voitures proltaires qui flambent (mais de quel droit donner
des leons ?). Et surtout tremblantEs comme les folles que nous sommes la
perspective de la rpression qui ne manquerait pas d’advenir. Elle eut lieu :
procs expditifs, expulsions, lois racistes, incurie de la gauche
social-dmocrate… Et renforcement des discours scuritaires, dmagogues.
Un an plus tard, a commmore tout va. Des bataillons de sociologues
essaient de comprendre. Des « philosophes » mdiatiques s’acharnent sur cette
jeunesse l’aide d’arguments racistes. Les programmes lectoraux ont t
badigeonns de bleu marine. Une certaine gauche se pince le nez : pensez,
ils/elles avaient dlaiss « Bastille-Nation », les parcours organiss de la
protestation tolre.
Presses, mdias et politiques entretiennent depuis sciemment la peur. Mais la
peur, c’est toujours une question de point de vue. Nous, par exemple, nous avons
cess l’an pass d’avoir peur lorsque cette jeunesse a refus d’tre humilie,
suicide.
Lorsqu’elle a tout simplement dit NON. Nous avons repris espoir.
Et c’est depuis le retour l’Ordre que nous avons de nouveau peur : peur
chaque jour de cette violence tatique qui inscrit ses lois liberticides,
ingalitaires en rgles communes.
Se dessine donc de partout l’image d’un danger pour la « Rpublique ». Un axe
du Mal porte de priph’.
Ce danger a un visage, des caractristiques : arabe, jeune, islamis.
Il a voil ses soeurs, frapp ses profs, viol ses amiEs.
Il est bouffi de haine.
Dress pour l’agression.
En-de de toute civilisation.
La preuve : il dteste les transpdgouines.
Tiens : nous revoilou, par la petite porte. Nous qui comptions pourtant pour
rien jusqu’alors. Nous qui sommes, quand a arrange les puissants, un danger
pour la dmocratie avec notre suppos communautarisme en bandoulire, voil que
nous devenons un argument supplmentaire pour jeter l’anathme sur cette
jeunesse. L’alibi parfait en temps de guerre sociale.
Un seul mot d’ordre : union sacre contre la racaille djihadise, sexiste et
homophobe.
Bien sr, de certainEs, nous ne connaissons que les injures. Injures
exhibes, instrumentalises par le Pouvoir pour nous convaincre de leur
« barbarie ».
(Injures incomparables, parat-il, celles plus polices des costumes trois
pices, d’une bourgeoisie qui nous prfre mortEs ou planquEs que vivantes et
out. L’homo-lesbo-transphobie lorsqu’elle porte un attach-case est respectable
ou insignifiante. Injures incomparables, parat-il, avec celles de l’tat qui
nous dit longueur de journe, dans la Loi et dans les faits : « sale trans’,
sale gouine, sale pd ».
L’homo-lesbo-transphobie lorsqu’elle a la gueule de Marianne est respectable
ou insignifiante.)
Ces injures, cette haine que nous subissons, que subissent nos amantEs des
cits, nous ne les minorons pas. Elles exigent, en rponse, une vritable
politique de prvention. Qui n’existe pas. Et pour cause : elle pourrait nous
rapprocher. Nous pourrions ensemble dmembrer ce systme qui fonctionne sur
l’assignation de sexe, de genre, « d’origine » : « Il ne faut pas essayer de fixer
l’homme puisque son destin est lch » (F. Fanon).
Mais cette jeunesse stigmatise ne se rsume pas ces dtestables carts.
Avec certainEs, nous nous sommes plongEs dans des tendresses indescriptibles,
des plans cul revigorants et fabuleux – parfois dsolants et rats : la vie quoi
! Avec la plupart, nous n’avons d’autres liens que de les croiser dans nos
banlieues communes, dans la rue, dans des collectifs militants.
De vivre ensemble. Ce qui n’est pas rien.
Et vis–vis de touTEs, nous entretenons un instinctif sentiment de
proximit.
C’est bien ainsi que nous sommes universelLEs.
UniverselLEs par ce qui nous est laiss en pture et qui est le lot commun :
des sous-droits, des discriminations institutionnalises.
UniverselLEs par la valeur de nos revendications : l’galit.
UniverselLEs par la teneur de nos convergences : avec les opprimEs,
toujours. Des oppressions qui ne sont pas similaires mais, chaque fois,
spcifiques.
Oppressions complmentaires pour un Ordre ingalitaire, raciste,
htrosexiste, patriarcal : elles nous divisent, font de nous des ennemiEs,
permettent d’assurer le maintien de la domination.
Nous n’abandonnerons pas l’universel au Capital, l’Homme blanc, au
bourgeois, l’htrosexualit.
ExpulsEs de l’Histoire, expulsEs du droit faire l’Histoire, nous
l’inventons dans sa banlieue. Avec nos langages singuliers. Dans le pari,
insens, que la rencontre de touTEs les opprimEs est, sinon imminente, du moins
urgente et ncessaire. Sous peine que perdure encore et encore ce Systme de
Mort et de Haine.
Nous n’effacerons pas en quelques jours les monceaux d’incomprhension
fabriqus pour nous isoler. Nous nous devons d’articuler nos combats. De les
penser solidaires – et non antagonistes. De nous affranchir de nos a priori. De
nous accommoder de l’nigme qu’est toujours l’autre. Cela demandera du temps. Le
temps de s’expliquer, de se connatre, de partager des instants d’existence dans
nos luttes communes.
Il n’en reste pas moins que, TransPdGouines de Strasbourg, nous sommes plus
proches d’une jeunesse qui peut parfois s’garer que d’un certain militantisme
LGBT qui se satisfait de l’tat des choses, de son ordonnancement.
Que nous saluons les rsistances qui s’essaient faire trbucher ce monde.
Et que, quand se lve la rvolte, alors notre dsespoir se transforme en
esprance incommensurable.