Une croix rouge délimite la source de l’ennui avec précision. Here. C’est comme ça qu’ils l’appellent. La ville dans laquelle ils grandissent. « Ils » c’est Anjelina, Ingo de Ring, Bianke, Aberdeen, Coeur-coupant et Malt. Ils ont entre seize et dix neuf ans. Leur adolescence infligée au reste de la ville comme la chute d’une météorite, ça tombe un jour du ciel, vitesse phénoménale avec laquelle se joue le drame : ils tuent. Sans raison. Sans plan précis. Comme ça pour voir, et puis très vite, parce que la suite s’impose dans l’élan.
S’en suit la fuite loin de Here, parce que ce serait simple d’y être découverts. Mais la bande de potes ne supporte pas d’autre percée dans l’atmosphère. Tout se disloque dans une cavale à Budapest. Les liens, la solidarité. C’est de la porcelaine balancée contre un mur. Anjelina reste là, fil conducteur de ce journal « a posteriori » de l’apprentissage dingue de la vie, de l’amitié, de soi.
Adieu la chair est le premier roman de Julia Kino, 20ans. Vous tournez les premières pages, sûr et certain qu’à vous on ne la fait pas. Elle a 20 ans quoi. Pis ça doit être un livre de fille quoi. Trop occupé à regarder droit devant, vous ne remarquez pas que la miss s’est glissée derrière vous et qu’elle bloque la sortie. Les bruits sourds que vous entendez à une cadence régulière ne sont pas les battements de votre coeur, mais le bruit de la barre de fer qu’elle cogne calmement dans la paume de sa main. Métronome brutal sur lequel elle a calqué le rythme de son écriture. Plus vous avancez, plus la plume est musclée et tendue. Vous lui appartenez.
Energie assurément constitutive de son écriture, Julia Kino a fait ses armes dans le slam et les paysages urbains. De la froideur du bitume et de sa sensibilité frontale, naît une écriture singulière, où chaque mot est craché comme après un combat. Rien n’est prononcé qui ne soit pas essentiel. Nous, lecteurs abreuvés d’une énergie franche et difficilement falsifiable, on imagine que Julia ressemble à son roman : entière et toute en collisions.
On dira de Adieu la chair qu’on y distingue les effluves d’un Orange Mécanique (le film culte d’Anthony Burgess) littéraire, subtilement suggéré au mental par les nuances de la couverture. Mais le cour d’Anjelina saigne, l’Orange est organique. C’est là que l’originalité cogne. Un cri émerge avec rage de la succession de phrases courtes et haletantes avec lesquelles l’auteur compose son récit. La violence du texte est d’autant plus ébranlante qu’elle est humaine et sincère, sans concession. Sa vision de la vie, assurément.
Prix éditeur : 9 euros
Editeur : Sarbacane
Colection : Exprim’
Date de parution : 03/2007
ISBN : 284865158X
EN SAVOIR PLUS :
http://www.exprim-forum.com
Petit plus : Un texte inédit de Julia Kino, Mes petits garçons, dans le volume 1 de la revue En attendant l’Or
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