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Une vie brisée par une «cabale homophobe» selon le principal intéressé

11 septembre 2001, en France, à Garges-lès-Gonesse (Val d’Oise), la vie d’un homme est réduite en poussières. Christophe Bridou a alors 35 ans. Chef de la police municipale de la ville depuis décembre 2000, il avait été recruté, après un poste d’adjoint à Sarcelles, pour «redresser» le service. Cela lui vaudra des «inimitiés chèrement payées» nous déclare-t-il. Remarié avec trois enfants d’un premier lit qui vivent en Bretagne, son nouveau couple va mal alors qu’il mène en parallèle une relation avec un homme. Père d’un enfant de neuf mois, il ne savait pas encore qu’il ne le reverrait que bien des années plus tard, pas plus qu’il allait perdre emploi, famille, logement, honneur, argent et toucher le fond.

Ce 11 septembre 2001 donc, Christophe Bridou, rentré le jour même de congés, se voit convoqué fissa dans le bureau du Maire de l’époque, Nelly Olin (UMP). Le partisan des actions éducatives et de prévention auprès des jeunes n’aura pas le temps d’évoquer le programme d’actions liées à la citoyenneté pour lequel il avait demandé un rendez-vous à l’élue, au menu de cette convocation, toute autre chose. Est présent et fait inhabituel pour le policier municipal, le premier adjoint de Nelly Olin et actuel premier magistrat de la ville, Maurice Lefèvre. S’ajoutent trois autres élus, tous silencieux, à l’exception de celle désignée le même mois sénatrice du Val d’Oise avant de connaître des fonctions nationales comme Ministre dans les gouvernements de Jean-Pierre Raffarin et Dominique de Villepin.

«Êtes-vous gay ?» interroge de but en blanc Nelly Olin. Interloqué, Christophe Bridou se verra de nouveau réclamer de faire état de son orientation sexuelle avant de l’admettre et de «protester sur ce qui relève de (sa) vie privée». La maire aurait alors déclaré qu’elle connaissait sa situation et aurait fait état d’éléments circonstanciés ainsi que d’une soirée de Christophe Bridou dans le Marais pour étayer ce qui apparaissait pour cette assemblée informelle comme une «accusation». «J’ai été suivi, ce n’est pas possible autrement» estime Christophe Bridou. Cette réunion aurait pu se limiter au déballage de la vie privée du policier par une opposante au Pacs qui manifesta aux côtés de Christine Boutin mais derechef Christophe Bridou est accusé par la Maire du vol d’un téléviseur, d’avoir falsifié des heures supplémentaires et de frais téléphoniques injustifiés. Des «prétextes» explique-t-il aujourd’hui. Suspendu immédiatement pour faute grave par un arrêté municipal, une commission de discipline est saisie, un huissier est présent à la demande de la Maire, plainte est déposée au commissariat, et il doit restituer tout ses effets professionnels. Aux sanctions administratives, s’ajoutent celles personnelles. La femme de Christophe Bridou se voit informée, au téléphone, par la Maire en personne de la suspension et de l’homosexualité de son mari comme de sa liaison avec un homme. Placardisé comme agent administratif dans l’attente de la décision du conseil de discipline, Christophe Bridou commence sa descente aux enfers : il quitte le domicile conjugal, une procédure de divorce est entamée. Acte 1, celui qui aura lieu quelques semaines après vire au pire.

Acte 2, s’ajoute aux accusations de vol et d’escroquerie, celle de recel de deux images à caractère pédophile représentants deux jeunes adolescents. Nelly Olin le 29 octobre 2001 se présente au commissariat pour expliquer que son chef de la police municipal, suspendu, est aussi détenteur de deux images pornographiques représentant des mineurs, l’ordinateur fourni aux policiers un mois et demi après la suspension de Christophe Bridou est présenté comme son ordinateur professionnel personnel. Ces images de deux jeunes adolescents auraient été retrouvées par l’ancien adjoint de Christophe Bridou qui occupe aujourd’hui son poste.

Le fond est là, 7 février 2002, Christophe Bridou est convoqué au commissariat. Placé en garde à vue 48h, «interrogé toutes les 4 heures, jour et nuit», présenté au parquet, il nie les faits qui lui sont reprochés mais se voit mis en examen. Laissé libre, il est soumis à un contrôle judiciaire le temps de l’instruction. Dans la foulée et alors que l’instruction n’est pas achevée et qu’il bénéficie toujours, en théorie, de la présomption d’innocence, le conseil de discipline saisi par Nelly Olin rend son arrêté le 12 mars 2002 avec une sanction sans appel de Christophe Bridou, détruit par les évènements : révoqué, rayé des cadres et perte de sa qualité de fonctionnaire. Sans droits au chômage, le désormais ancien chef de la police municipale touche le fond.

Son logement ? «La rue, les cabanes de chantiers le temps de quelques week-end, payé au black 40 euros pour garder le matériel et ne pas crever de froid ou le centre d’hébergement de Nanterre avec ses couvertures où grouillent la vermine et les morpions». Ses moyens de subsidence ? «La mendicité, tendre la main et faire les poubelles pour trouver de la nourriture quand on n’a pas mangé depuis plusieurs jours». Sa santé ? «Trois tentatives de suicide, la dernière avec un coma de 6 jours. L’hospitalisation en psychiatrie un mois, la camisole» et «les médicaments contre la dépression et anxiolytiques qui m’aident toujours à tenir». Ses soutiens ? «Les associations qui aident les gens dans la rue, les travailleurs sociaux». Son quotidien ? «Celui de la rue, sa violence, les SFD». Sa vie familiale ? «Je n’ai pas vu mon fils pendant 6 ans, je ne l’ai pas vu grandir». Un travail ? «J’étais anéanti et quand je trouvais un emploi dans mes cordes, dans la sécurité, j’étais viré au bout d’un mois quand la préfecture refusait l’agrément étant fiché pour l’enquête en cours». «Tu n’a plus aucun contact, repères. Tu es déconnecté» analyse aujourd’hui Christophe Bridou dont la lente renaissance a débuté en 2005 : «J’ai trouvé sur les petites annonces de CitéGAY un emploi et un logement en même temps. Je suis gardien d’immeuble à mi-temps pour 430 euros par mois, l’équivalent du RMI. Mon quotidien, c’est cirer les escaliers et sortir les poubelles» mais «avec un logement, j’ai eu un espoir qui revenait». Il nous reçoit dans sa loge de 20 m2, son compagnon est là. Policier national en exercice, il a décidé de quitter prochainement son travail là où Christophe Bridou souhaite qu’on lui rende le sien après que la Justice ait lavé son honneur.

Acte 3, sur les conseils de son nouvel avocat, Me Lessage et à sa demande, Christophe Bridou est enfin reçu et pour la première fois en février 2005 par le juge d’instruction, «le cinquième ou sixième», il ne sait plus, qui est eu son dossier entre les mains. Il lui indique que l’on se dirige vers un non-lieu. Il faudra attendre le 20 juillet 2007 pour que l’ordonnance soit rendue. «L’instruction était complètement bloquée lors des mandats ministériels» de Nelly Olin estime-t-il face à cinq longues années de procédure.

Alors, au final, quid des faits reprochés à Christophe Bridou ? L’ordonnance de non-lieu est claire concernant l’insuffisance des charges pour les trois chefs de mise en examen. Le poste de télévision-magnétoscope qui aurait été volé ? Un support pédagogique a expliqué Christophe Bridou qui a fait état que l’achat du matériel et son utilisation étaient chronologiquement et dans les faits liées à un travail pédagogique en milieu scolaire qu’il souhaitait effectuer et qui était connu. Sur les faits d’escroqueries liées à des heures supplémentaires abusives et aux frais téléphoniques professionnels ? «Le fait que les relevés d’heures supplémentaires soient signés des supérieurs de Christophe BRIDOU sans qu’aucune observation ne lui ait été faite pendant plusieurs mois est exclusif de l’emploi de manoeuvres frauduleuses nécessaire à cette qualification» justifie le juge pour disculper le policier radié. Sur les factures de téléphones liés à un usage abusif d’un minitel ? Christophe Bridou n’avait pas de minitel dans son bureau et une consommation excessive pouvait être le fait de n’importe quel agent du service en l’absence de lignes téléphoniques dédiées et de factures détaillées mentionnant les numéros appelants et appelés. Enfin, l’accusation principale, celle de recel d’images à caractère pédophile. Le juge lui-même revient sur la présentation qui en a été faite à l’origine soit des images issues d’un «ordinateur présenté comme étant celui qu’utilisait Christophe BRIDOU», les images ayant été découvertes par celui qui allait prendre sa place dès le lendemain de sa suspension et qui avançait aux policiers que l’ordinateur avait été emmené par le mis en examen à son domicile – ce qu’il a toujours nié – avant d’avoir été remisé au poste de police municipale sur une armoire. «Il ressort de l’information que seule une image pornographique représentant des mineurs a été retrouvée sur un ordinateur susceptible d’avoir été utilisé par Christophe BRIDOU, mais aussi par d’autres personnes et que cette image a été retrouvée un mois et demi après le départ de Christophe BRIDOU du poste de Police» souligne le juge pour ordonner le non-lieu ajoutant que rien n’indique que Christophe Bridou «ait personnellement procédé à l’enregistrement de cette image et même qu’il l’ait consultée, d’autant qu’aucune image de ce type n’a été retrouvée sur l’ordinateur qu’il utilisait à son domicile». L’ordinateur litigieux n’était pas celui utilisé usuellement par Christophe Bridou dans son travail contrairement à ce qui avait été présenté et il s’agissait d’un poste accessible par tous.

Près de six ans après avoir été accusé, c’est donc le non-lieu. «C’est un cabale homophobe» mêlé d’«une assimilation gay égale pédophile» estime Christophe Bridou pour qui Nelly Olin n’aurait pas supporté que son Chef de Police municipal soit homosexuel. Analyse en partie partagée par un membre socialiste du conseil général valoisien et chef de file de l’opposition au conseil municipal de Garges-lès-Gonesse, Hussein Mokhtari, qui avance aussi des rivalités avec d’anciens collègues de Christophe Bridou : «On a monté une cabale contre lui» nous déclare l’élu. Le traitement de cette affaire par le maire actuel, Maurice Lefèvre, étant «dans la continuité de celui de Nelly Olin», «il a été traité moins qu’un animal». Un espoir pour Hussein Mokhtari qui regrette la médiatisation concernant Christophe Bridou : pouvoir régler à l’amiable son cas si la ville bascule à gauche aux municipales alors que les procédures administratives peuvent durer des années.

Aujourd’hui soutenu par SOS Homophobie, Christophe Bridou décide de contre-attaquer, médiatiquement et aussi judiciairement : «Je viens de saisir la HALDE et d’engager plusieurs procédures». Au pénal, il poursuit nommément Nelly Olin pour dénonciation calomnieuse et a déposé la semaine dernière une plainte supplémentaire pour provocation au suicide. Au plan administratif, il a effectué un recours sur son préjudice lié à l’absence de traitement et d’avancée de carrière, plus de 300 000 euros à percevoir à ce seul titre sans compter la réparation du préjudice moral. Il a de plus demandé à être réintégré dans son poste, ce que le Maire actuel a refusé prétextant du recours administratif en cours pour sa réintégration et qu’il s’agit d’une décision initiale prise par Nelly Olin et non par lui. «Pour moi, cela a toujours été ma vie la Police» justifie Christophe Bridou qui forme également un voeu pieux : «Je veux des excuses», même s’il n’est pas dupe : «Le mal est fait. Les soupçons demeurent». La procédure administrative pourrait être encore longue alors que sur le plan judiciaire il a été blanchi des accusations portées à son encontre mais dont il subit toujours les conséquences : précarité, semi inactivité, santé toujours fragile. Sur le plan politique, responsables et divers élus se renvoient la balle ou ne se saisissent pas de la situation. Les responsables nationaux, Rachida Dati, François Fillon, Nicolas Sarkozy, Jean-Marc Ayrault, Arnaud Montebourg, etc, tous interpellés par Christophe Bridou n’ont jamais répondu à ses sollicitations, seul François Hollande a écrit à ce dernier. Le cabinet de Michèle Alliot-Marie vient juste de répondre qu’il interpellait la Garde des Sceaux, Rachida Dati, et transmettait le dossier à la préfecture du Val d’Oise.

A Garges, les responsables locaux déclinent toute responsabilité. Nelly Olin, injoignable, a rendu, sur fond de désaccords avec son successeur, sa délégation de première adjointe en juillet dernier et déclarait dans la foulée en octobre qu’elle abandonnait la vie politique. Elle a toutefois été distinguée en ce début d’année par la République, en recevant la légion d’honneur. Le Maire actuel, candidat à sa propre succession, présent à la funeste réunion du 11 septembre 2001, demeure également injoignable malgré plusieurs tentatives auprès de son cabinet.

A Paris, Christophe Bridou a enfin pu bénéficier de son droit de visite le temps d’un week-end, samedi et dimanche dernier, concernant son jeune fils. Cela faisait 7 ans qu’ils n’avaient pas partagé le même toit.

EN SAVOIR PLUS

L’interview vidéo accordée par Christophe Bridou au site Rue89 dans le cadre d’un article du quotidien en ligne :



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