L’annonce au début de l’année dans le Bulletin des médecins suisses d’une synthèse de données effectuée par la Commission Fédérale pour les problèmes liés au Sida (CFS), équivalent helvétique du Conseil National du Sida français avait suscité un vif débat en France.
Etait en cause la communication en décembre 2007 par Bernard Hirschel, responsable de l’Unité VIH-sida des hôpitaux universitaires de Genève, de données faisant état d’une absence de transmission du VIH dans le cas de couples sérodiscordants dont le partenaire séropositif, sous traitement antiviral qui conduit à un taux de virus indétectable, ne transmettrait pas dans les fait le virus en cas de pratiques sexuelles à risques
Face à une telle communication scientifique, Act Up ou le SNEG comme les autorités françaises avaient indiqué qu’il ne fallait pas changer de paradigme et pour l’heure se garder de reprendre cet avis.
A l’inverse, l’association Warning en France appelait à ce que cet avis modifie les politiques publiques de prévention.
Seronet, nouveau site d’information et espace d’échange animé par AIDES (France) et la COCQ-Sida (Québec), dont l’objet est le soutien et la rencontre, destiné principalement aux personnes séropositives et aux personnes porteuses d’une hépatite virale, a interrogé Bernard Hirchel.
Nous reproduisons in extenso cet entretien réalisé par Nicolas Charpentier, Groupe sida Genève.
Pourquoi vous êtes-vous exprimé le 1er décembre 2007 avant la publication de la position officielle de la Commission fédérale suisse sur le sida ?
Il y a plusieurs raisons à cela. A ceux qui ont eu l’impression que cette annonce était prématurée, je rappelle que ces données existent depuis environ huit ans. J’estimais que cela suffisait, que nous avions assez attendu, et que si on voulait en dire quelque chose, le 1er décembre était le moment idéal, quand l’attention de tout le monde est fixée sur le VIH. La Commission fédérale sur le sida (CFS) comptait prendre position, mais, jusqu’au dernier moment, je n’étais pas sûr qu’elle le fasse. Je suis content de leur prise de position. En revanche, si j’étais membre de cette Commission j’aurais choisi un autre titre que : « Les malades traités avec virémie indétectable ne sont pas infectieux par voie sexuelle ». C’est bien le message que l’on entend faire passer, mais ça rend un peu vulnérable aux attaques. La moindre exception va faire dire à certains que l’on a tort. Quand on lit l’annonce, on se rend compte qu’elle est plus nuancée.
Pouvez-vous nous résumer ce que cette annonce dit vraiment et ce qu’elle ne dit pas ?
Notre annonce dit que si quelqu’un est traité et qu’il a une virémie [ou charge virale] indétectable le risque de transmission est très bas. C’est-à-dire que dans ce cas le préservatif n’est pas d’un très grand intérêt en terme de santé publique. Notre principe est que les recommandations pour l’ensemble de la population doivent tenir compte des informations qui agissent véritablement sur une épidémie et non pas sur les rares exceptions qui peuvent arriver. Peut-être que ces rares exceptions existent, mais c’est comme avec d’autres risques de la vie qui peuvent être très bas. C’est le cas avec l’avion, et certains ne veulent pas prendre l’avion. C’est pareil avec la mobylette. Mais dans ces exemples, on admet que ce soit un choix individuel : un ministre de la Santé ne va pas mettre en garde contre l’utilisation de l’avion à cause des rares accidents qui arrivent.
L’absence d' »infectiosité » est soumise à certaines conditions : un traitement qui dure un certain temps (six mois au moins), une virémie indétectable prouvée pendant six mois, et une bonne observance (plus de 95 % des comprimés pris selon les prescriptions du médecin). A ces conditions, le risque de transmission est très bas. S’ajoute une autre condition, peut-être un peu moins fondée, c’est l’absence d’infections sexuellement transmissibles [IST ou ITS au Québec]. Ces infections causent des inflammations au niveau génital, ce qui « attire » le VIH. Notre annonce est donc une information importante pour des personnes qui veulent avoir des enfants, car, avec des préservatifs, ça ne marche pas !
En revanche, notre annonce ne dit pas que dans des relations occasionnelles vous pouvez arrêter le préservatif, car vous ne connaissez pas assez votre partenaire. Par exemple, vous ignorez s’il prend son traitement. Pour en juger, il faut quand même bien le ou la connaître. L’annonce intéresse donc surtout les couples stables et de statuts sérologiques différents. Dans une relation occasionnelle, la probabilité est moindre d’obtenir des informations fiables sur les situations de chacun. Et puis, il y a d’autres raison d’utiliser des préservatifs : contre certaines IST et comme moyen de contraception.
On a prétendu, suite à notre annonce, que nous étions contre les préservatifs ou que nous en critiquions la fiabilité, ce qui est faux. Ce que nous constatons, c’est qu’il y a des personnes qui ne peuvent pas ou ne veulent pas utiliser de préservatifs. Pour elles, lorsqu’elles sont séropositives, on insiste sur l’intérêt de se traiter plutôt que d’essayer de leur faire peur en disant qu’elles risquent gros à ne pas utiliser de préservatifs. Et puis, nous parlons du sexe à moindre risque, nous n’avons jamais parlé du sexe à risque zéro. Certains pensent que le préservatif est une arme absolue. Pourtant, les études sur le sujet montrent que le préservatif casse dans un pour cent des cas. Il en résulte un risque plus élevé que celui d’une relation sans préservatif, mais avec une personne à virémie indétectable(1). Je ne suis pas étonné que l’annonce ait suscité des controverses car, de façon générale, la société n’est pas d’accord sur la manière de traiter les risques faibles d’un accident grave. L’exemple type est la controverse autour de la maladie de la vache folle. Ça cause la panique chez certains tandis que d’autres s’en fichent complètement. Les centrales nucléaires, c’est pareil. La grippe aviaire, c’est pareil. Parfois on constate que plus le risque est statistiquement faible plus la controverse est grande. Nous sommes tout à fait dans ce cadre-là.
Vous êtes connu en Suisse pour la défense des droits des personnes séropositives, notamment par rapport à la pénalisation de la transmission du VIH. Cette annonce va t-elle avoir un impact sur les décisions de justice ?
C’est important au niveau pénal car, en Suisse, il y a eu des plaintes et des condamnations pour mises en danger d’autrui par des relations sexuelles non protégées, même sans transmission du VIH ! Les gens se sont défendus en disant qu’ils étaient traités et que leur virémie était indétectable. Cette défense n’a pas été retenue. Je pense que cela doit changer. Cela doit changer pour les personnes touchées, qui se croient très « contagieuses », et c’est une lourde charge à porter. Beaucoup d’entre elles n’arrivent pas à se libérer de cette crainte de transmettre le virus même lors de contacts sociaux. Il faut voir l’essentiel : une personne qui fait porter un risque à autrui est celle qui n’est pas traitée et qui a des relations non protégées, avec du virus présent dans l’organisme. Si le virus est absent, on ne peut pas punir la mise en danger de quelqu’un d’autre, car il n’y a pas de danger ou peu de danger.
L’annonce de ces données, c’est une connaissance scientifique ou une hypothèse ? Si c’est une hypothèse, quels types d’études sont nécessaires pour arriver à valider (ou invalider) cette hypothèse ?
Pour moi, il s’agit d’une connaissance scientifique, mais son niveau n’est pas aussi bon qu’il pourrait l’être. La première chose, c’est la logique : comment le virus peut être transmis s’il n’est plus présent ? C’est l’évidence même… En comparaison, faut-il faire une étude contrôlée pour prouver que l’utilisation du parachute réduit le risque de chute mortelle ? Ensuite, la connaissance scientifique s’appuie sur le nombre de cas de transmission chez des couples hétérosexuels non traités. Ce sont les études réalisées en Ouganda dans les années 90 qui montrent que, si la virémie est basse, il n’y a pas de transmission. Il y a aussi un des grands succès du traitement : la baisse de la transmission de la mère à l’enfant. Si la virémie est indétectable, à la naissance la contamination est quasiment exclue. Il y a aussi les études espagnoles portant sur la conception naturelle chez des couples hétérosexuels sérodifférents. Homme séropositif et sous trithérapie et femme séronégative : soixante dix-huit grossesses, zéro transmission. Les couples sérodiscordants sous traitement : soixante-six couples, aucune transmission. Nous avons aussi recherché les cas où il y aurait eu transmission du VIH alors que la personne séropositive était traitée. Il n’y a rien de publié. Ça fait un faisceau d’éléments assez crédibles à nos yeux. Peut-être qu’à la suite de notre publication, il y aura d’autres études. Je l’espère. La difficulté sera toujours le risque zéro, impossible à prouver. Il y aura toujours des divergences sur le niveau de preuve acceptable, souhaitable, suffisant pour faire changer les recommandations. Il faut admettre qu’il y a surtout un manque concernant la transmission chez les homosexuels. Cela tient notamment à la plus grande difficulté de trouver des couples stables et qu’on ne peut exclure la probabilité qu’une contamination survienne hors des relations de couple. Du côté des études, nous allons rechercher au travers de la cohorte suisse [il s’agit d’un ensemble de personnes suisses touchées par le VIH suivies en Suisse] la fiabilité d’une charge virale indétectable. C’est-à-dire quelle est la probabilité si une personne a une charge virale indétectable à un moment donné, qu’elle l’ait toujours deux ou trois mois plus tard ? Nous allons essayer de voir quels sont les facteurs qui influencent cette probabilité. Ce que l’on peut déjà dire, c’est l’importance de l’observance. Même l’oubli de une ou deux prises de médicaments dans le mois va influencer le résultat. Nous présenterons les résultats de nos travaux à la conférence mondiale sur le VIH à Mexico. L’analyse est encore en cours.
Quels sont les antirétroviraux les plus efficaces du point de vue de la baisse de la charge virale dans les secrétions génitales ? Lesquels ont une pénétration suffisante dans le compartiment génital ?
Il y a une différence de pénétration importante selon les molécules. Mais ce qui n’est pas clair, c’est de quelle façon cette différence influe sur la disparition du virus. Les études de mon collègue Pietro Vernazza en Suisse montrent que peu importe comment les gens sont traités : quand la virémie est indétectable, après un certains temps le virus disparaît aussi du sperme.
S’il y a un lien direct entre charge virale dans le sang et charge virale dans les secrétions génitales, quel serait le seuil de charge virale dans le sang au dessous duquel il n’y a réellement plus de risque de transmission ? 1000 ? 500 ? 100 ? 50 ? 20 ? Qu’est ce qui a été défini comme limite dans les études ?
On dit indétectable, mais dans les études en Afrique et aux Etats-Unis sur la transmission de la mère à l’enfant et entre couples hétérosexuels sérodifférents, on montre que l’on ne peut plus trouver de cas de transmission si la charge virale est inférieure à 1000. Or, le niveau de détectabilité est aujourd’hui à 40 ou 50, donc il y a une marge.
Pensez-vous que cette annonce doive changer les recommandations d’experts et faire remonter les critères incitant à démarrer un traitement ?
Aujourd’hui, je ne le pense pas. Mais si, dans quelques années, on constate un intérêt à traiter les personnes plus précocement et si l’on continue à évoluer vers des traitements de plus en plus efficaces, plus faciles à prendre, provoquant moins d’effets indésirables, meilleur marché, et si des études montrent l’effet préventif du traitement, alors pourquoi pas. Je pense que nous en parlerons de plus en plus dans les années à venir. Il s’agira de concevoir le traitement comme une arme de prévention. C’est valable pour la tuberculose, ça devrait l’être pour le VIH. On pourra envisager alors de traiter plus de monde pas seulement pour eux-mêmes, mais aussi pour contenir l’épidémie. Néanmoins, on ne pourra pas faire ça si l’on n’admet pas que le traitement diminue « l’infectiosité ».
Comment intégrez-vous ces données dans les discussions que vous avez avec vos patients pendant la consultation ?
Il y a de nombreux patients pour qui ça ne change rien car ils n’ont pas de partenaire sexuel, ou ils pratiquent le sexe à moindre risque (fellation, pas de pénétrations) ou ils utilisent sans difficulté le préservatif. Il y a ensuite ceux qui ont un partenaire séropositif qui se traite, qui a une virémie indétectable, etc. Ça fait longtemps que je leur dis que l’utilisation du préservatif c’est leur choix. Et que je n’en vois pas vraiment l’intérêt pour eux. Après il y a les couples qui veulent avoir un enfant. La réponse, la plupart du temps, c’est que l’on peut faire une fécondation in vitro, mais ça ne marche que très rarement, ça coûte très cher [en Suisse], c’est pénible… On peut se poser la question si ça en vaut vraiment la peine. Et si on en a la possibilité pourquoi ne pas faire des enfants comme tout le monde ? Quand la question se pose, je les encourage dans ce sens. Au-delà du fait que ces techniques (fécondation in vitro, stimulation ovarienne, implantation de plusieurs ovules, etc.) ont des taux de réussite faible, il y a le risque de grossesse multiple et cela n’est pas bon pour les enfants, ni pour la mère. Ensuite il y a les couples qui ne supportent pas le préservatif et qui veulent l’abandonner. Il faut leur dire de se traiter de manière correcte et surveiller l’effet du traitement. Enfin, et là je pense au partenaire séronégatif. S’il y a un risque résiduel, c’est le partenaire séronégatif qui le porte. Il faut parler avec le partenaire séronégatif. C’est lui qui doit décider. Soit il est à l’aise et il l’accepte, soit il hésite et il ne faut pas insister.
Propos recueillis par Nicolas Charpentier, Groupe sida Genève
(1) Bernard Hirschel parle de deux risques différents. D’un côté, le risque de contamination (rapports sans préservatifs) et de l’autre le risque que le préservatif n’assure pas l’étanchéité du rapport sexuel. Avec cet exemple, Bernard Hirschel indique qu’un individu à moins de probabilités d’être infecté par un partenaire séropositif qui réponde aux critères stricts des recommandations suisses que de connaître une rupture de préservatifs.
EN SAVOIR PLUS
Avis suisse sur la transmission du VIH.
Le site Séronet : www.seronet.info.
Le site d’Act Up Paris : www.actupparis.org.
Le site de Warning : www.thewarning.info.
Notre portail Prévention : prevention.citegay.com.
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