in

Les hommes au triangle rose

On ne peut que saluer l’initiative des éditions H&O de publier à nouveau, à petit prix et en format poche, un des témoignages les plus poignants sur la déportation des homosexuels et les conditions de survie des trianles roses dans les camps de la mort. Une lecture coup de poing.

Le témoignage de Heinz Heger est capital à plus titre, à commencer par la rareté des documents sur la déportation des homosexuels (entre 10 000 et 15 000 personnes selon les informations du Mémorial de l’Holocauste à Washington) parce que ceux-ci, à la sortie des camps, restaient dans l’illégalité (l’homosexualité est un délit pendant et après la guerre) et n’avaient ni le statut de victime ni le droit à une compensation morale et financière. Entre un taux de mortalité extrêmement élevé dans les camps pour les triangles roses et une injonction au silence pour les survivants, on peut comprendre le courage qu’il a fallu à Heinz Heger pour imposer malgré tout sa verité, celle du triangle rose.

S’il fallait chercher une spécificité à la déportation des homosexuels, on ne la trouverait pas dans le nombre des déportés (infime en rapport des 6 millions de Juifs) mais dans le traitement qui leur était réservé : sous-hommes parmi les déportés, méprisés par les autres catégories de déportés (droits communs, politiques, asociaux, etc), les triangles roses cumulaient l’abjection des nazis et celles des anti nazis, sans même pouvoir compter sur une forte solidarité entre eux-mêmes en raison de la pression d’une haine trop forte pour ne pas être intériorisée. S’appuyant sur les discours de Himmler appelant à guérir les homosexuels de leur « vice », les triangles roses ont massivement servi de cobayes auprès des médecins pour des expériences telles que la lobotomie, la castration ou la greffes de testicules… Ce statut de cobaye explique en partie l’extrême mortalité des homosexuels pendant leur déportation.

L’homophobie stimulant l’imagination des tortionnaires, les trianles roses avaient droit à des tortures ciblées sur l’anus et les organies génitaux. Heinz Heger a été traumatisé par la mise à mort d’un homosexuel autrichien dont on faisait tremper les testicules successivement dans de l’eau bouillante puis glacée avant de l’achevée à coup de barres dans la tête. Pierre Seel, dans ses mémoires, ne s’est jamais remis des déchirures occasionnées par le pieu qu’on lui avait enfoncé dans l’anus. La nuit, les triangles roses avaient l’obligation de dormir avec les mains en évidence pour s’assurer que la masturbation leur était impossible… Une des façons de survivre, qui a été l’option retenue par Heinz Heger, était de se prostituer à un Kapo en échange d’un soutien qui pouvait passer par un supplément de nourriture au marché noir ou l’obtention d’un poste moins dangeureux que le travail dans les mines. Outre le traumatisme du viol, il fallait aussi ne pas perdre la vie dans un affrontement entre Kapos se disputant le même « ami »…Parce qu’il avait la chance d’être jeune et de ne pas manquer de charme, Heinz Heger esquivera les obstacles sur lesquels il va voir tomber la majorité des triangles roses.

Au fil des pages et des anecdotes, on se rend compte à quel point la survie tient du miracle dans un contexte d’extrême déshumanisation (qui a été très bien analysé, de façon quasi philosophique, par Robert Antelme dans L’espèce humaine), et qu’elle se complique en plus de problèmes moraux, de culpabilité et de toutes sortes de traumatismes indépassables. A son retour du camp, Heinz apprend par sa mère que son père s’est suicidé en 1942, ne pouvant plus supporter les moqueries et l’infamie dont on l’accablait en découvrant que son fils avait été déporté pour homosexualité… On se ressort de ce livre ébranlé, certains passages sont difficilement tenables et le témoignage dans son ensemble nous jette à la figure une peinture odieusement réaliste de ce que donne l’homophobie quand elle est librement exercée. Parce que le style est épuré et que l’auteur ne tire pas trop sur la corde du pathos, le témoignage gagne en force et concision.

Quant à la préface de Jean Le Bitoux, elle permet de mieux appréhender les enjeux et le contexte de ce tragique épisode de l’histoire de l’Occident. Et puisqu’il est dit que celui qui oublie le passé se condamne à le revivre, espérons que ce livre sera assez lu, enseigné et partagé pour qu’il nous serve de leçon.

MaximeFoerster

Présentation de l’éditeur : C’est un témoignage capital et bouleversant qu’il nous est donné de lire dans ce livre. Parce qu’il est homosexuel, Heinz Heger est arrêté par la gestapo le 12 mars 1939, emprisonné puis déporté au camp de Sachsenhausen. Là-bas, il apprendra à se servir de sa jeunesse et son charme pour survivre. Des années plus tard, il raconte le sort effroyable réservé aux « hommes au triangle rose » par le régime nazi. Son discours, loin du politiquement correct – surtout sur la sexualité dans les camps – choque et dérange encore dans les sociétés d’après-guerre où l’homosexualité reste un délit.

Cette parole, si précieuse pour comprendre les combats d’aujourd’hui, se devait d’être remise à la portée du plus large public.



Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

2X #79

L’Inter-LGBT renouvelle son collège dirigeant