L’Opéra de Paris présente en ce moment une production de Werther, opéra de Massenet dont le livret est inspiré du roman épistolaire de Goethe « Les souffrances du jeune Werther », souvent considéré comme un manifeste du romantisme.
En ce sens, il tranche de façon assez nette avec plusieurs autres ouvres du compositeur,plutôt inspirées par le courant symboliste, aujourd’hui désuet et un peu kitsch (notamment en peinture) mais qui, à son époque, fût jugé délétère et sulfureux. Ce mouvement, au parfum de scandale un peu éventé, mettait souvent en scène le conflit entre le sentiment religieux et l’appel des sens. C’est pour cela qu’il suscita parfois des remous dans les consciences bien pensantes de l’époque et aussi qu’il nous fait un peu sourire aujourd’hui…
Dans ce droit fil, les premiers opéras de Massenet abordent des sujets ésotériques, où l’amour et la spiritualité ne font pas toujours bon ménage. Ainsi, dans Le Roi de Lahore, le héros, Atim, parvient à la renaissance grâce à la clémence du dieu Indra, mais doit partager la forme mortelle de son aimée. Un peu plus tard, avec Esclarmonde, Massenet nous présente une princesse byzantine magicienne, qui, à l’instar de Lohengrin, ne peut révéler à personne son identité et n’accepte l’amour du chevalier Roland qu’à la condition que celui-ci fasse le voux qu’il ne cherchera jamais à savoir le nom de sa bien-aimée.
Avec Hérodiade, Massenet métamorphose de façon surprenante la Salomé lubrique et cruelle de Wilde et de Richard Strauss en vierge vertueuse et chaste dont saint Jean Baptiste tombe amoureux sans jamais la toucher.
Mais il faut attendre Manon pour que les choses se pimentent un peu, notamment la célèbre scène de Saint Sulpice où Des Grieux, sur le point de prononcer ses voux, est séduit par les charmes envoûtants de Manon, qui l’entraîne une nouvelle fois vers le stupre et la luxure.
Le pompon, c’est quand même Thaïs : un moine sybarite, Athanaël, persuade une prostituée insolente de renoncer à ses débauches pour le suivre sur la voie de l’ascèse et de la sainteté. Sans que l’on comprenne vraiment pourquoi, Thaïs se laisse convaincre et gagne aussitôt la sainteté. Mais Athanaël, bouleversé par la contemplation fétichiste et sans doute un tantinet sado maso des petits pieds ensanglantés de la courtisane, se trouve subitement submergé par une irrésistible poussée hormonale et poursuit de ses assiduités la prostituée repentie pour finalement s’évanouir dans une extase lubrique. Tout cela serait vraiment comique s’il n’y avait pas le génie mélodique de Massenet qui sauve le tout. Il est vrai que ce grand amateur de femmes connaissait bien son sujet.
Plongeons-nous dans la prose savoureuse des critiques de l’époque, ce n’est pas triste :
Eugène de Solenière, à propose de Massenet : Spécialiste des excitements, peut-être inventera-t-il de nouvelles ivresses, peut-être (lui qui plus que tout autre légitima l’axiome que la musique est une masturbation de l’oreille) saura-t-il accoupler les sons et violer les harmonies de si neuve manière, de si persuasive façon, qu’il en naîtra un inconnu de jouissance, le je ne sais quoi d’un Kama-Soutra quintessencié.
Milhaud, critique à la Gazette de France : La muse de M. Massenet est une femme étrange, parée et fardée à outrance, au regard doux et suspect, exhalant de dangereux parfums, dont le rire se mouille de larmes et dont les larmes n’ont rien de sincère ; une charmeuse à qui l’on résiste péniblement mais que sagement l’on redoute, une hystérique dont les transports restent gracieux, une amoureuse dont les tressaillements sont des frissons de fièvre et dont le chant de volupté semble inspiré par le délire morbide ou le torturant cauchemar.
Laissons le dernier mot au très regretté abbé Bethléem, obscur auteur de livres édifiants condamnant les spectacles. A propos d’Hérodiade : à lire cette partition, à l’entendre, on se rend compte que le blasphème dont la poésie s’est rendue coupable est consommé par la musique. Quant à Manon, elle peut procurer à la jeunesse des exemples perinicieux et des émotions coupables et la musique de Thaïs se révèle extrêmement voluptueuse, parlant plus aux sens qu’à l’âme, et bien faite pour éveiller en nous les mauvaises langueurs.
Bref, plein d’excellentes raisons de redécouvrir l’oeuvre de Massenet !
Merci à Jean-Christophe Branger, pour son excellent article, Le cas Massenet, dans le programme de Werther publié par l’Opéra de Paris.