Les réserves de sang s’amenuisent en France. Comme tous les ans, les donneurs habituels se font moins nombreux pendant l’été et l’Établissement Français du Sang (EFS) s’est déclaré mardi 15 juillet « inquiet » face à des stocks de sang « plus tendus » que l’année précédente à la même période. Pour y remédier, l’EFS a lancé un appel aux dons pour répondre aux besoins des malades.
Hasard du calendrier, deux jours plus tard, ce jeudi 17 juillet, l’avocat général de la Cour européenne de justice, Paolo Mengozzi, a lu ses conclusions sur cette « question délicate » qu’est l’interdiction en France faite aux homosexuels et bisexuels masculins à donner leur sang. Il s’est prononcé contre, jugeant que l’homosexualité ne constituait pas « en soi » un comportement qui justifierait l’exclusion permanente du don de sang. Cette interdiction date de 1983, malgré les demandes répétées des associations de défense des droits des homosexuels, elle a toujours cours.
Cette décision de la Cour de justice de l’Union européenne est attendue par le tribunal administratif de Strasbourg appelé à statuer le cas de Geoffrey Léger, homosexuel, qui a attaqué l’EFS pour avoir refusé son don de sang à la faveur de son orientation sexuelle.
20 juin 1983, les homosexuels sont considérés comme une « population à risque »
Pour comprendre l’origine de cette interdiction, il faut revenir plus de trente ans en arrière. A une époque où on ne connaissait pas encore le mot sida. L’année 1983 ne débute pas sous les meilleurs auspices. Depuis deux ans déjà, un virus inconnu laisse perplexe quelques virologues américains et européens. Il semble toucher de jeunes hommes, homosexuels, hémophiles ou toxicomanes. Un groupe de médecins parisiens et deux chercheurs de l’Institut Pasteur commencent leurs recherches sur un patient français le 4 janvier 1983. Quelques mois plus tard, en mai, leur publication et celle d’un virologue américain dans la revue scientifique Science font du bruit. Ce sont les premières descriptions du virus que l’on appellera sida.
Le 20 juin 1983, une circulaire est publiée, signée par Jacques Roux, alors directeur général de la Santé. Pour la première fois, des mesures sont prises pour sécuriser les transfusions sanguines. Les « populations à risque » sont automatiquement écartées du don du sang, parmi lesquelles, « les personnes homosexuelles ou bissexuelles ayant des partenaires multiples ». En cause, le sida qui « représente un risque nouveau et grave pour la santé » et dont on suspecte qu’il puisse se transmettre par le sang.
Cette interdiction ne sera jamais levée, surtout après l’affaire du sang contaminé qui éclate en 1985. La méfiance est plus que jamais de mise. Aujourd’hui l’EFS applique un arrêté ministériel datant du 12 janvier 2009. Selon ce texte de loi, « les hommes ayant eu ou ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes ne sont pas autorisés à donner leur sang ». Derrière cette interdiction, toujours le même souci de la part de l’Etat, « garantir la sécurité transfusionnelle ». Ce texte s’appuie sur une directive européenne de 2004 demandant à ce que soient exclus du don « les sujets dont le comportement sexuel les expose au risque de contracter des maladies infectieuses graves transmissibles par le sang ». Nulle part est évoqué explicitement les homosexuels, c’est pourtant la lecture qu’en font les autorités françaises.
Sur quoi se base cette interdiction? Un risque possible
Il existe une prévalence du VIH chez la population homosexuelle masculine, autrement dit un risque plus grand d’être contaminé que dans la population hétérosexuelle. Selon les données de l’INVS mises en avant par l’Etablissement Français du Sang : en 2010, en France, le risque d’exposition au VIH était 200 fois plus élevé lors d’une relation sexuelle entre hommes que lors d’une relation hétérosexuelle ou d’une relation sexuelle entre femmes. Le problème qui se pose aux autorités se nomme la fenêtre virologique. Pendant cette période de 10 jours à 20 jours (selon le type de VIH) après contamination, le virus est invisible dans les tests sanguins, donc indécelable. Or, en cas de transmission sanguine de sang contaminé, le risque de transmettre le virus est de 100%.
Des arguments qui ne suffisent pas pour interdire le don du sang aux homosexuels. « Ce n’est pas parce que vous êtes homosexuel que vous avez le sida. Ce n’est pas parce que vous êtes homosexuel que vous avez des pratiques à risque. C’est une vision complètement dépassée! » s’insurgeait en juillet 2013 Olivier Véran, député PS de l’Isère et auteur d’un rapport sur la filière sang remis à la ministre de la Santé, Marisol Touraine. Voilà ainsi résumé l’incompréhension des associations, « C’est une vision « selon laquelle il y aurait des groupes à risques ; or il n’y a que des pratiques à risques ». » s’agaçait Act Up Paris sur Rue89.
D’une interdiction définitive à une interdiction temporaire?
Frileux, les ministres de la Santé ne se sont pas attaqués au problème avant 2007. Roselyne Bachelot promet alors de revoir les conditions d’accès au don pour les homosexuels, avant de reculer en 2009, « Entre 10 et 18% des gays sont contaminés, alors que ce pourcentage est de 0,2% pour les hétérosexuels. Il existe un risque, et ce risque est trop élevé ». Suivie par Nora Berra en 2011, alors secrétaire d’Etat à la Santé « l’homosexualité est un facteur de risque pour le VIH, donc une contre-indication de don ». François Hollande avait lui aussi promis d’ouvrir le don du sang aux homosexuels, une promesse réitérée par Marisol Touraine mais pour l’instant sans effet.
Les opposants à cette législation ne demandent pourtant pas que les homosexuels, y compris ceux qui ont des comportements à risques puissent donner leur sang les yeux fermés. Il s’agit plutôt que ces hommes ne soient pas définitivement exclus sur le seul critère d’avoir eu des relations sexuelles avec d’autres hommes. Cette situation amène en effet des homosexuels à se mettre dans l’illégalité. Avant chaque don, le donneur doit répondre à un questionnaire pour déterminer si oui ou non il remplit les conditions. Ainsi, certains homosexuels qui veulent donner leur sang malgré tout « sont obligés de dire au don qu’ils ne sont pas homosexuels, tout en répondant franchement aux autres questions » déplore Olivier Véran, député PS de l’Isère.
Une seule étude s’est intéressée en 2012 aux risques de transmission du sida si le don était ouvert aux homosexuels. Les chercheurs ont pu mettre sur pied plusieurs scenarios selon lesquels « le risque pourrait soit être proche de la situation actuelle soit multiplié par quatre dans le scénario le plus pessimiste » selon le site spécialisé Yagg.fr qui rapporte les conclusions assez prudentes de cette étude.
L’Institut de veille sanitaire qui publie cette étude préconise donc comme solution une interdiction temporaire du don du sang pour cette population. Pour pouvoir devenir donneur il faudrait avoir été abstinent pendant un an avant le don. C’est la solution qu’a choisi le Royaume-Uni en septembre 2011. Dans le reste de l’Europe, aucun pays ne fait comme les autres. En Espagne, il faut attendre 6 mois d’abstinence, en Italie 4 mois. De l’autre côté de l’Atlantique, le Canada demande lui d’attendre 5 ans de chasteté pour pouvoir donner son sang. Difficile donc de favoriser telle ou telle législation face à cette pluralité.
En France, une personne hétérosexuelle doit laisser passer 4 mois après un rapport sexuel à risque avant de pouvoir donner son sang. La décision de la Cour de Justice européenne fera peut-être pencher la balance en faveur d’une interdiction temporaire de ce genre. Ce jeudi 17 juillet, l’avocat général s’est prononcé contre cette interdiction. « Une telle exclusion peut être justifiée au regard de l’objectif de protection de la santé publique, à condition qu’elle n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire ce qui, dans l’exemple français, pourrait ne pas être le cas », a ajouté Paolo Mengozzi. La décision de la Cour est attendue à l’automne prochain voire la fin de l’année civile a affirmé la juridiction au site Yagg.
Signer la pétition « Oui au dong du sang pour tous ! » de Steven Kuzan
Source : Huffington Post