Quadra pas trop rasé, Sébastien Chenu claque la bise au patron du Café de la paix, à Beauvais, avant de se présenter : «Salut. Chenu !» Puis, au Zinc bleu, face à l’impressionnante cathédrale Saint-Pierre, qui devait être la plus grande du monde, le patron de la brasserie l’encourage : «Allez Seb, on y croit !» Ce fils d’un marchand de meubles sera-t-il élu dans un fauteuil au conseil départemental de l’Oise, le 29 mars ? Après avoir deux fois échoué à cette élection sous casaque de la droite, ce serait une drôle de pirouette que de faire gagner l’étiquette lepéniste. Car en décembre, Chenu l’UMP a déménagé chez Le Pen, via le sas de décontamination du Rassemblement bleu Marine (RBM), ce qui lui a valu quelques compliments : «traître» , «opportuniste».
L’homme pratique une sorte de renoncement pour les nuls. A droite, il fut intransigeant avec l’extrême ; aujourd’hui, il la rejoint, avec le sourire. «On m’a dit : « Vous êtes un con, et vous rejoignez des cons ». OK. Mais attention : les cons vont être de plus en plus nombreux. En 2007, Sarko a siphonné les voix du FN. En 2017, Marine va siphonner celles de l’UMP dans les grandes largeurs.» Pour le reste, il met les critiques sur le compte de «l’arrogance de la caste médiatico-politique» vis-à-vis des votants FN. «Mais il faut qu’il assume son choix qui l’amène dans un parti xénophobe, avec des valeurs aux antipodes de ce que nous défendons !» rétorque Franck Pia (UDI). Ancien collègue de majorité municipale à Beauvais pendant treize ans, Pia affronte désormais Chenu dans le canton de Beauvais 2. «On a été fort surpris de son ralliement. Ce grand écart est incompréhensible. Un problème de conviction, de fidélité à ses idées et de loyauté.»
Côté FN, Chenu s’est dépucelé dans l’isoloir aux européennes de juin 2014. Puis il a appelé sa maman, fonctionnaire de justice à la retraite. Ses parents, de droite, avaient voté comme lui. «On dit que le FN, ça ne marche pas chez les bobos, les cadres, les homos. Mais si ! Les plafonds de verre sautent les uns après les autres. Le FN ressemble de plus en plus à la société française. Quand vous faites 30%, vous avez forcément des Blancs, des Noirs, des hétéros, des homos.» Cofondateur, en 2001, de GayLib, mouvement de droite pour les droits des homos, Chenu s’est fait pourrir par ses anciens compagnons. «On m’a présenté comme le pédé qui rallie Marine Le Pen. Je ne peux être réduit à ça.» Comme ça passe mal dans les rangs frontistes un peu coincés de la braguette, Chenu prétend qu’il n’a «jamais été un militant gay» ni «élu gay» : «Je déteste le vocable LGBT. Je n’ai jamais voulu être le pédé de service. J’ai toujours vécu ma vie privée sans me cacher.» Cet individu volubile, et d’un commerce agréable, se rêvait avocat ou psychanalyste. Il pense qu’avec la politique, il se trouve «au milieu» : «Un peu avocat, car je défends des causes, un peu psy, car j’essaye de comprendre, à commencer par moi-même.» Voici un parfait sujet d’études : ses incohérences de parcours. Ainsi, partisan du mariage pour tous, il rejoint un parti qui s’y oppose. Vous me ferez quinze lignes là-dessus.
Lancé à 15 ans, version militant du Parti républicain, Chenu a longtemps vécu de et dans la politique. Après avoir assisté divers élus, version droite libérale, il devient, de 2005 à 2007, chef de cab adjoint chez Christine Lagarde, au Commerce extérieur. «On m’avait dit : « Fais passer ton CV à Lagarde, elle ne connaît personne, et personne ne la connaît. » J’y suis resté deux ans, probablement ma plus belle expérience.» Puis il bosse au Service d’information du gouvernement (SIG) de 2008 à 2012 : «J’ai découvert le monde des sondages, comment l’opinion publique se structure.» Il passe aussi par la télé d’info France 24, avant la case Pôle Emploi, où son indemnisation vient de s’achever. En 2014, il a créé «une petite boîte de com» : «Faut bien vivre !»
Parallèlement, il a bataillé face à des élus de droite qui, «dès qu’ils entraient dans l’Hémicycle, devenaient fous furieux» sur les droits des homos. D’où GayLib, affilié à l’UMP. Il méprise désormais les membres de son ancienne association : «Ils ont terminé à l’UDI. Ils doivent être deux.» Même sentiment pour l’UMP – «ils ont tout raté, tout trahi» – et son bureau politique, dont il fut membre, «consternant de vide». Sarko ? «En 2007, il arrivait à faire voter pour lui un ouvrier d’usine et Bolloré. Maintenant, y a plus que Bolloré.» NKM ? «La pire rencontre politique de [sa] vie.» Il a cru qu’elle le nommerait tête de liste dans le IIe arrondissement aux municipales à Paris, en mars 2014. Mais Kosciusko-Morizet l’a remplacé par une candidate antimariage pour tous. «Copé m’avait dit : « Tu verras, NKM est folle et méchante. » C’est la plus belle définition.»
En juin 2014, son vote Le Pen a suivi cette désillusion. Il a eu «l’impression d’être un mec qui sort d’une secte et ouvre les yeux». Pour entrer dans une autre ? Il y a été introduit par Gilbert Collard, le député avocat RBM, qui l’a invité à dîner en lui disant : «Y aura Marine Le Pen. – Vous l’avez prévenue ? J’ai créé GayLib, quand même. – Justement.» A la fin du repas, la patronne lui aurait lancé : «Vous m’intéressez. Vous avez l’expérience de l’appareil d’Etat, vous avez été élu local. Venez comme vous êtes !» Il ajoute : «Jamais elle ne m’a dit « tu vas être le VRP des gays ».»
Sébastien Chenu est bien à RBM, «plus excitant qu’un parti caporalisé». Ayant fait la tournée de quelques fédés pendant l’été, il a trouvé un FN «au visage humain» : «Je n’ai pas entendu de propos déplacés ni rencontré de dingues. L’impression d’être à l’UMP, car les gens sont les mêmes, avec une différence : 30% ont moins de 30 ans. A l’UMP, pour les meetings, on mettait les cheveux blancs dans les cars Suzanne.» Le fond de sauce anti-immigrés ? Il n’en a rien vu. Ou alors, «c’est du patriotisme». Conclusion : «Zéro regret. Je me sens beaucoup plus en cohérence qu’à l’UMP.» Au FN, l’aile la plus «catho-tradi» (Bruno Gollnisch, Marion Maréchal-Le Pen) l’a pourtant jugé «incompatible». Il minimise : «Ce sont les tenants d’une orthodoxie qui n’est plus majoritaire. Et puis, à l’UMP, on avait Vanneste ou Boutin, des gens du même genre.» Il précise : «Moi aussi, je suis catho ! Je vais à la messe deux fois par an, et je vis depuis vingt ans avec un garçon très catho.» Question croix, on notera qu’il en avait fait une sur Beauvais. «Il a essayé la politique sur Paris, mais ça n’a pas réussi», raille son adversaire Pia. Sébastien Chenu avait aussi proclamé : «Je ne vais pas passer ma vie à être candidat aux cantonales !» L’y revoilà, lui qui n’a jamais gagné sur son nom. En 2011, défait de 117 voix, Chenu, alors candidat UMP, avait trouvé fort de café qu’un FN «inconnu» atteigne «24% au premier tour». Application de l’adage : «Mettez un âne avec une pancarte FN, il fera 20%» ? Cette fois, le candidat lepéniste, c’est lui. Dans ce bout de France où le Front tutoie aujourd’hui les 40%, il croit à sa chance.
En 5 dates
1973 Naît à Beauvais (Oise). 2005 Travaille avec Christine Lagarde. 2008 Au Service d’information du gouvernement (SIG) à Matignon. 2014 Soutient Bruno Le Maire pour la présidence de l’UMP. Mars 2015 Candidat lepéniste à Beauvais.
Source : Liberation