On n’avait jamais connu une telle effervescence autour du prochain James Bond. Pas le prochain d’ailleurs, mais le prochain-prochain, voire celui d’après, puisque Daniel Craig, actuel titulaire du costard, est sous contrat pour au moins un film et il n’a jamais exprimé clairement son souhait d’arrêter. Quand on se souvient que cette franchise était tombée en quasi-désuétude, on se dit qu’il y a de l’hystérie collective dans l’air (non non, on n’exagère pas).
Au siècle précédent, le simple nom de Bond faisait se lever les yeux au ciel, exprimant le regret du bon vieux temps où Sean Connery savait aussi bien porter le smoking que manier le Walther PPK ou embrasser Ursula Andress. On lui pardonnait même son déguisement japonais dans On ne vit que deux fois. Quelques autres – plus rares – préfèrent citer Roger Moore et ses blagues à deux balles : l’acteur anglais a pourtant aussi peu apporté au rôle de l’espion que Claude Guéant à l’indépendance de la justice [note ajoutée à la demande l’Amicale de Défense du Vrai James Bond : «Faux, Roger Moore ne peut être que le seul et unique Bond, même maintenant il leur mettrait une raclée à tous»].
Au moins Timothy Dalton parvient à mettre presque tout le monde d’accord. Ce n’est pas que les deux épisodes dans lesquels il a joué soient complètement nuls, mais ce sont ceux qui ont le plus mal vieilli. Ils n’ont pas le charme suranné des différents épisodes qu’on regarde durant les fêtes en sachant pourtant qu’on les connaît par coeur. A cette époque, il n’y avait plus de guerre de froide à se mettre sous la dent, la série était quasi morte et il y avait des chances que l’espion britannique ne vive pas plus que deux fois. Est alors survenu Pierce Brosnan qui tentait de faire la synthèse entre Connery et Moore. On n’a pas grand-chose à lui reprocher – malgré son costume d’agent immobilier – mais à l’arrivée, là où on l’a le plus aimé, c’est quand il se fait torturer dans Meurs un autre jour. Au moins, on lui doit d’avoir relancé une machine moribonde, avec moins de Russes, moins de stylos-pistolets et davantage de sauvagerie.
Quand Daniel Craig a repris le rôle, on ne peut pas dire que la nouvelle ait enchanté ce qu’il restait de fans. La franchise venait d’être ringardisée par un Jason Bourne qui avait revisité la figure de l’espion à coup de scènes d’action d’un nouveau genre, sans effets spéciaux pyrotechniquement tape-à-l’oil mais rendues réalistes par une caméra à l’épaule, brutale, au plus près des mouvements. Il est vrai que Jason Bourne incarne un héros plus moderne débarrassé des contraintes bondiennes : il n’est pas supposé faire trois fois le tour du monde, faire l’amour à huit mannequins et jouer à cache-cache avec des méchants enfouis dans un bunker qui auront dix fois l’occasion de le tuer.
Un Daniel Craig sous stéroïdes
Alors pour survivre, la franchise a lâchement copié Bourne et en cela, le choix d’un Daniel Craig sous stéroïdes, plus taciturne et que charmeur, s’est révélé parfait. La scène d’ouverture de «Casino Royale» – première apparition de Craig – et sa course-poursuite sur des grues plante le décor et assume le plagiat d’entrée de jeu. Et malgré les réserves initiales, Daniel Craig incarne un Bond parfait dans un genre bien loin de celui des débuts – on ne peut pas en dire autant des méchants. Même Mathieu Amalric fait pâle figure. Pour 007 Spectre, qui sortira le 11 novembre, Craig revêtira le smoking pour la quatrième fois, et Sam Mendes sera à nouveau à la réalisation, pour l’épisode le plus long jamais proposé.
Et après donc ? Alors que le remplacement d’un James Bond est généralement subi par les fans, l’inverse est-il en passe d’arriver ? Un peu comme tous les Français se pensent sélectionneur de l’équipe de France de football, chacun a son avis sur qui doit incarner l’espion increvable. Alors que le dernier clou n’est pas encore enfoncé dans le cercueil de Craig. Le nom d’Idriss Elba revient toutes les semaines, provoquant enthousiasme ou polémique comme quand Roger Moore s’emmêle les pinceaux en laissant entendre qu’un James Bond devait être «Anglais-Anglais».
Avant toute question de couleur de peau, on ne peut s’empêcher de penser que l’acteur britannique pourrait être parfait pour ce rôle : il a la classe et la carrure nécessaire (cf The Wire). Bien d’autres noms circulent : Tom Hardy, le nouveau Mad Max, Michael Fassbender qui a déjà été sur les rangs en 2011, Damian Lewis, le héros de Homeland.
L’idée que James Bond puisse être interprété par une femme fait même son chemin et à voir comment Scarlett Johansson incarne La Veuve Noire dans la franchise des Marvel, on troquerait volontiers les James Bond Girls pour des James Bond Boys. Histoire de planter l’ambiance, Pierce Brosnan a publiquement déclaré que James Bond pourrait très bien être en phase avec son temps en étant noir ou gay. Débarrassé de ses oripeaux les plus machistes, l’espion qu’on aimait resterait dangereusement nôtre.
Source : Libération