Vendredi, le coming-out de l’évêque de Grantham, Nicholas Chamberlain, engagé dans une relation «chaste» avec son compagnon, a relancé le débat sur l’ouverture du mariage aux homos, prêtres compris, au sein de l’Eglise d’Angleterre. Depuis plusieurs années, le monde anglican se déchire sur la question.
«Les gens savent que je suis gay [.]. J’ai une sexualité, cela fait partie de moi, mais c’est sur mon ministère que je veux me concentrer.» Au Royaume-Uni, Nicholas Chamberlain, 52 ans, est devenu vendredi le premier évêque de l’Eglise d’Angleterre à faire son coming-out en révélant publiquement dans les colonnes du Guardian qu’il était engagé dans une relation «chaste» avec son compagnon de longue date.
Nommé par son prédécesseur en novembre dernier, l’évêque de Grantham (ironiquement, le diocèse de naissance de Margaret Thatcher) était en effet menacé d’outing par un journal dominical. «La hiérarchie a toujours été au courant de mon orientation sexuelle, a-t-il par ailleurs juistifié au quotidien britannique, ce n’était pas ma décision de faire toute une histoire de ce coming out».
En révélant un poil sous la contrainte son homosexualité, Nicholas Chamberlain craignait de provoquer des «remous» au sein de l’institution religieuse. Et s’il a reçu le soutien de l’archevêque de Canterbury, Justin Welby, ses appréhensions se sont exaucées : très médiatisé outre-Manche, son coming out a soudainement remis au goût du jour les divisions de l’Eglise anglicane sur le conjugalité homosexuelle.
Les membres du clergé homosexuel interdits de mariage civil
Officiellement, la position de l’Eglise d’Angleterre est ambiguë (voire hypocrite). Depuis l’ouverture du mariage aux gays et lesbiennes britanniques en 2013, la bénédiction des couples de personnes du même sexe mariés civilement reste proscrite. Par ailleurs, les membres du clergé – prêtres comme évêques – homosexuel(le)s ne peuvent pas prétendre au mariage civil. «La doctrine de l’Eglise anglicane pose le principe que le mariage hétérosexuel est le seul idéal chrétien, explique Rémy Bethmont, professeur d’histoire et civilisation britanniques à l’université Paris-VIII (1). En revanche, depuis plusieurs années, les membres du clergé ont été autorisés à s’engager dans des unions civiles, dans le sens où celles-ci n’impliquent pas de relations sexuelles si on s’en tient à la doctrine».
Cependant, dans les faits, ces interdictions ne sont pas vraiment respectées. D’abord, parce que dans les paroisses de l’Eglise d’Angleterre, les clercs homosexuels mariés devant la loi, et célibataires devant l’Eglise, sont de plus en plus nombreux ; Ensuite, parce qu’il est toujours possible pour les prélats de célébrer les mariages de couples homos par des prières pastorales… recommandées par la hiérarchie anglicane ! Ces contradictions sont d’ailleurs remises en cause par une partie du clergé anglican. Emmenée par Andrew Foreshew-Cain, le premier vicaire à s’être marié avec son compagnon en 2014, à Londres, la frange libérale de l’institution plaide pour un aggiornamento dans l’accueil des personnes lesbiennes, gay, bis et trans (LGBT) à quelques jours d’une rencontre des évêques de l’Eglise d’Angleterre, le 12 septembre.
Mais la frange conservatrice portée par le courant évangélique bloque toute avancée. «En juillet, les shared conversations [ndlr, des discussions sur le rapport de l’Eglise d’Angleterre à l’homosexualité] n’ont pas abouti à une décision entre libéraux et conservateurs. Pourtant, le conservatisme au sein de l’Eglise est le fruit d’une minorité», poursuit Rémy Bethmont. A contre-courant des fidèles anglicans eux-mêmes, dont une majorité soutient désormais la bénédiction des couples homos. Selon un sondage YouGov, publié en février dernier, 45% des fidèles de l’Eglise d’Angleterre – contre 37% – sont désormais favorables à l’ouverture du mariage religieux aux couples gays et lesbiens. «L’Eglise d’Angleterre est engagée dans un long processus sur ce sujet, mais c’est encore difficile de concilier tous les points de vue», confie au téléphone, sous couvert d’anonymat, un prêtre de l’Eglise d’Angleterre en France, qui reconnaît à ce propos ne pas avoir «de problèmes, si jamais [il bénissait] des couples gays dans [sa] paroisse.»
Opposition entre deux conceptions du christianisme
Plus généralement, ces divisions imprègnent également l’anglicanisme, et ses 85 millions de fidèles à travers le monde. Depuis 2003, la Communion anglicane, qui regroupe l’ensemble des églises anglicanes et épiscopaliennes dans une quarantaine de pays, se déchire sur l’ordination des prêtres ouvertement LGBT ou la reconnaissance des couples de personnes de même sexe.
A l’origine de ce conflit idéologique, la nomination cette année-là par l’Eglise épiscopale américaine [ndlr, la branche états-unienne de l’anglicanisme] du premier évêque ouvertement gay, Gene Robinson, dans le diocèse du New Hampshire. Ulcérés par cet affront, des Anglicans tenants d’une ligne orthodoxe sur l’homosexualité (autrement dit homophobes) avaient alors répliqué en créant le Gafcon, un groupe de pression d’évêques conservateurs originaires des églises anglicanes du Nigeria, du Kenya ou de l’Ouganda, assez influent pour mettre dans l’embarras l’archevêque de Canterbury, garant de l’unité de la Communion anglicane.
Mais le conflit est peut-être plus profond, et l’homosexualité le cache-sexe d’une nouvelle bataille théologique au sein du culte anglican. «La question de l’homosexualité n’est qu’une question prétexte dans l’affrontement entre deux conceptions du christianisme, affirme l’universitaire Rémy Bethmont. D’un côté, certaines des églises africaines prônent une conception littéraliste de la Bible et des écritures et de l’autre, les églises plus libérales portent une vision postmoderne de l’herméneutique biblique.»
La fracture «n’a pas eu lieu»
L’an passé la fracture s’est d’ailleurs accentuée. Connue pour son libéralisme – les femmes y sont ordonnées prêtres depuis la fin des années 1970 -, l’Eglise épiscopale des Etats-Unis s’est de nouveau fait remarquer par sa décision, en juillet 2015, d’ouvrir le mariage religieux aux personnes de même sexe avec une liturgie adaptée. Au point de se faire exclure pour trois ans des commissions ocuméniques et interconfessionnelles de l’Eglise anglicane lors du synode général en janvier dernier.
En réalité, il ne s’agissait que d’une «petite tape sur les doigts» pour satisfaire les évêques du Gafcon excédés par le mouvement inévitable d’une partie de la Communion anglicane en faveur de l’égalité, les églises du Canada, d’Ecosse ou de Nouvelle-Zélande empruntant la voie libérale des épiscopaliens américains. «On a certes perdu beaucoup de fidèles, mais la fracture dont parle les journaux n’a pas eu lieu», assure à ce propos l’ancien évêque Gene Robinson, que Libération a rencontré lors d’une réunion paroissiale des chrétiens «inclusifs» Lamba à la cathédrale américaine, située en plein dans le triangle d’or du VIIIe arrondissement de Paris.
En visite à Paris pour célébrer le mariage d’un couple gay originaire d’Orlando dimanche, le sexagénaire prêche aujourd’hui une parole mêlée de foi et d’activisme queer sur l’importance d’être soi, le coming out et la fin du patriarcat : «Cela va prendre du temps au sein de la Communion anglicane pour que les personnes LGBT soient reconnues, le coming out est donc essentiel pour mener cette bataille, car on discrimine moins facilement quand il y a des personnes visibles, clame-t-il. En revanche, je suis triste que Nicholas Chamberlain prône le célibat, car nos relations charnelles ne sont pas des péchés.» Il espère qu’un jour ses prières seront entendues pour que l’Eglise anglicane accepte tous les individus et leurs sexualités.
(1) auteur de L’anglicanisme. Un modèle pour le christianisme à venir ? (éd. Labor et Fides ; 2010).
Source : Libération