L’adoption du PACS, voté le 13 octobre, confère un statut légal aux couples non mariés
JEUDI 18 NOVEMBRE, tribunal d’instance de Lille (Nord). Après dix-neuf années de vie commune, Francis et Dominique sont les premiers en France à signer un PACS. PACS comme pacte civil de solidarité, contrat qui confère un statut légal aux couples non mariés, hétérosexuels comme homosexuels.
Depuis la promulgation de la loi par Jacques Chirac, le 15 novembre, deux personnes physiques majeures, de sexe différent ou de même sexe, peuvent organiser leur vie commune en concluant un contrat au tribunal d’instance. A mi-chemin entre concubinage et mariage, le PACS est l’aboutissement d’une décennie de lutte des associations d’homosexuel(le)s, relayées par la gauche. C’est l’épidémie de sida, et ses conséquences dramatiques, qui, à la fin des années 80, met en lumière le vide juridique entourant les couples de même sexe en France.
Exemple emblématique mis en avant par les associations, le droit ne prévoit aucune possibilité de transfert de bail entre concubins homosexuels en cas de décès de l’un des partenaires.
Première ébauche d’un statut du couple homosexuel, le « contrat de partenariat civil » imaginé en 1990 par le sénateur de l’Essonne Jean-Luc Mélenchon (PS) fait des émules à gauche – Jan-Paul Pouliquen, proche de Jean-Pierre Chevènement, fonde en 1991 le Collectif pour le contrat d’union civile – mais ne convainct à l’époque qu’une poignée de députés socialistes. Ils ne sont que huit, en novembre 1992, à signer la proposition de loi sur le contrat d’union civile (CUC). En octobre 1995, l’association Aides et les promoteurs du CUC lancent le contrat d’union sociale (CUS), qui sera repris par les élus du PS. Le candidat Lionel Jospin s’abstient d’un quelconque engagement à ce sujet pendant la campagne législative de 1997.
« VENDREDI NOIR »
Mais, avec l’arrivée de la gauche au pouvoir, le mouvement est irréversible. Les propositions se multiplient au sein de la majorité. Au printemps 1998, Jean-Pierre Michel (MDC, Haute-Saône) et Patrick Bloche (PS, Paris) sont chargés d’en rédiger la synthèse. C’est le PACS, dont la discussion à l’Assemblée nationale s’ouvrit sur un faux pas de la majorité plurielle, le 9 octobre 1998 : ce jour-là, la droite, venue en force dans l’Hémicycle, met la gauche en minorité et adopte l’irrecevabilité de la proposition de loi. Le groupe socialiste est K.O. Pour rattraper l’effet désastreux de ce « vendredi noir », la majorité rédige aussitôt une nouvelle mouture du PACS qui sera votée à l’usure, un an plus tard, le 13 octobre 1999. Sept lectures successives à
l’Assemblée et au Sénat, quelque 120 heures de débats, le PACS a sans doute été la proposition la plus contestée au Parlement en 1999. Ce fut une véritable guerre de tranchées avec, en toile de fond, la pétition des « 19 000 maires pour la défense du mariage républicain ». A la tête des opposants, Christine Boutin (app. UDF, Yvelines) combat le PACS pendant plus de cinq heures à la tribune du Palais-Bourbon, le 3 novembre 1998, brandissant même la Bible dans l’Hémicycle. Le débat est émaillé, à droite, de dérapages homophobes et, à l’autre extrême, de menaces d’ outing de la part de l’association Act-Up, qui ne tolère pas qu’un député présumé homosexuel de l’opposition participe à la
manifestation anti-PACS du 31 janvier. Ce jour-là, quelque 100 000 personnes défilent derrière Mme Boutin et les dirigeants des quatre principales religions. Les mots d’ordre – « Les pédés au bûcher ! Pas de neveux pour les tantouzes ! » – sont pour le moins virulents. A droite, seule Roselyne Bachelot (RPR, Maine-et-Loire) soutient publiquement le texte.
Le débat a laissé des traces, et ouvre de nouvelles perspectives aux associations homosexuelles. Unanimement, elles font du 13 octobre une date majeure dans l’histoire de l’homosexualité en France. Caroline Fourest, présidente du Centre gay et lesbien, parle de « moment d’espoir » : « Même si ce texte ne nous offre pas l’égalité des droits, il va dans ce sens. » Pour Aides, Daniel Borrillo évoque un tournant dans la banalisation de l’homosexualité. D’autant que la loi s’accompagne d’une définition du concubinage dans le code civil qui n’exclut plus les couples homosexuels (« Une union de fait, caractérisée par une vie commune présentant un caractère de stabilité et de continuité, entre deux personnes, de sexe différent ou de même sexe, qui vivent en couple »), faisant ainsi échec à la jurisprudence de la Cour
de cassation, selon laquelle le concubinage, et les droits qui y sont rattachés, sont réservés aux seuls couples hétérosexuels.
PROPOS HOMOPHOBES
Qualifié de « demi-mesure » par les associations , le PACS, signé au tribunal d’instance et non en mairie, n’est considéré que comme une étape : le délai imposé de trois ans avant l’imposition commune, le silence sur l’adoption et la procréation médicalement assistée, son faible impact sur l’établissement de la carte de séjour du « pacsé » de nationalité étrangère ont déçu. Mais les militants de la cause homosexuelle ont le sentiment d’avoir enregistré d’autres
« victoires » : par sa violence, le débat sur le pacte a donné corps à la revendication d’une pénalisation des propos homophobes. Il a aussi rendu visibles les familles homoparentales, brandies comme autant d’épouvantails par la droite. Pour beaucoup, le PACS appelle d’autres réformes.
Par Clarisse Fabre et Pascale Krémer