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La confusion des sentiments

Les greffiers des tribunaux d’instance reprennent leur souffle.  » En
décembre on pacsait toutes les demi-heures, les gens voulaient à tout
prix être pacsés avant la fin de l’année fiscale « , afin de remplir une
déclaration de revenus commune dès 2003. En janvier, l’empressement est
un peu retombé. On dénombre 1.500 pactes civils de solidarité conclus à
ce jour dans toute la France, dont 668 à Paris, 83 à Lyon et 101 à
Lille. Des chiffres dont se réjouit le ministère de la Justice.

On se pacse donc, mais qui ? La réponse – et c’est toute l’ambiguïté de
ce contrat – est confidentielle. Officiellement, en tout cas, puisque
les décrets d’application, publiés au Journal Officiel le 24 décembre,
stipulent qu’  » il est interdit de sélectionner une catégorie
particulière de personnes « .

Officieusement, les greffiers livrent leur décompte, qui révèle que les
pacsés sont à une écrasante majorité des homosexuels masculins. Un
plébiscite illustré par les carnets mondains de deux quotidiens
nationaux, Le Monde et Libération, où depuis la mi-novembre la nouvelle
rubrique  » Pacs  » célèbre, avec allégresse ou sobriété militante,
l’événement administratif.

Or, ce succès du Pacs parmi la communauté homosexuelle n’est pas sans
parfois poser quelques soucis protocolaires aux greffiers des tribunaux
d’instance, chargés de l’enregistrement. L’un d’eux, qui confie avoir
reçu  » des instructions afin que l’acte ne ressemble en rien à un
mariage « , raconte qu’il ne  » pacse que sur rendez-vous, afin d’éviter à
ceux qui veulent demeurer discrets de croiser dans la pièce leurs
collègues ou voisins « .
Que faire lorsque, soudain, au rendez-vous fixé, se presse une famille
en liesse, avec rubans et caméra, venue entourer un couple de parents
homosexuels, pressé de transformer l’  » acte administratif  » en un
pseudo-mariage ? Le couple, qui voit sa  » cérémonie  » sombrer,
s’emporte, l’invective, l’accuse. Le greffier tient bon. Les invités
doivent remettre leur joie à des lieux plus discrets et moins
républicains, et les contractants signer dans un petit bureau.
 » Ce qui est étrange, c’est qu’ils veulent de la publicité mais pas que
le Pacs soit public « , témoigne un autre greffier parisien. De fait, le
Pacs ne sera pas enregistré en marge de l’état civil, ce registre où
figurent mariage, divorce, veuvage, qui appartient, lui, au domaine
public. Pourtant, ce contrat est opposable à des tiers. Comment
conjuguer la discrétion réclamée par ceux qui craignaient
l’établissement d’un fichier d’homosexuels et la publicité nécessaire à
un contrat engageant d’autres parties ? Après avis de la CNIL, les
décrets d’application ont suivis d’habiles contorsions. Seuls l’autorité
judiciaire, la Sécurité Sociale, l’administration fiscale, les caisses
d’assurance maladie, les organismes débiteurs de prestations familiales
pou d’allocations de veuvage, les syndics de copropriété, les notaires
et  » les bailleurs de la vie courante  » pourront savoir si Untel ou
Untelle est pacsé(e). Mais pas avec qui. Afin d’éviter bien sûr qu’un
bailleur refuse de louer un logement en découvrant que son locataire est
homosexuel. Le danger de fichage est ainsi évité. Une prudence
légitime, certes. Mais également une confusion supplémentaire au cour de
ce pacte civil, qui étant opposable aux tiers peut néanmoins cacher
l’identité de l’un de ses contractants.

– Emilie LANEZ –





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