« Les médias , a dit un jour Jean Cocteau, sont des miroirs. Des miroirs qui réfléchissent l’état de la société. Ce n’est vrai qu’en partie: les médias jouent en effet un autre rôle, actif celui-là ; il est très probable, par exemple, que la frénésie avec laquelle beaucoup d’entre eux ont mis en vedette ces temps-ci des phénomènes de violence à l’école a contribué à développer ceux-ci.
Mais cela n’invalide pas le constat de Cocteau : les médias, sans le
vouloir parfois, en disent long sur l’évolution de notre monde et de nos moeurs, la hiérarchie de nos valeurs. Et ce ne sont pas les « une », les premières pages, qui sont les plus significatives à cet égard. Les pages ntérieures en disent parfois plus. Ainsi il était frappant ces derniers jours de comparer les places respectives accordées à la mort de René la Canne, truand de haute volée et fort pittoresque, il est vrai, et à celle d’un compagnon de la Libération, une distinction pourtant très rare et qui devait se mériter.
De même peut-on s’intéresser à ce qui se passe aujourd’hui autour du
Pacs. Comme on le sait, le nombre des pactes conclus depuis l’adoption
de la loi a été plus important que ce que l’on avait d’abord prévu.
Qu’on le regrette ou que l’on s’en réjouisse, c’est un fait. Deux ou
trois quotidiens ont donc introduit dans leur carnet du jour une rubrique Pacs entre les traditionnels faire-part de naissance,
fiançailles, mariages et décès. On apprend ainsi que Julie et Hélène, ou Marc et André, ont la joie ou la fierté – les formules varient –
d’annoncer qu’ils ont conclu entre eux un Pacs.
Le surprenant et l’intéressant dans cette affaire est que cette
publicité donnée à la conclusion du Pacs se double presque toujours de
l’anonymat le plus total. Seuls les prénoms sont indiqués. Les noms et les adresses ne figurent jamais. Ce qui provoque une double interrogation. Pourquoi annoncer un événement en taisant l’identité des protagonistes ? Pourquoi cet anonymat ?
À la première question, la réponse est peut-être simple : il s’agit,
pour ceux qui annoncent la conclusion d’un Pacs, de montrer que leur
combat en faveur de la loi n’a pas été vain et inutile. Chaque annonce
constitue donc un bulletin de victoire pour les promoteurs de cette
réforme.
Le problème de l’anonymat est plus complexe. La première explication qui vient naturellement à l’esprit est la crainte : les Julie et Hélène, les Marc et André qui annoncent leur Pacs craindraient les réactions de leur entourage professionnel, social, familial. Pourtant, pour la plupart d’entre eux, qui vivent selon les statistiques officielles dans la solitude des grandes agglomérations urbaines, cette annonce n’intéressera pas grand monde; seuls ceux qui les connaissent y prêteront attention et ceux-là n’éprouvent pas le moindre doute, en général, sur l’état exact de leurs relations.
Les » pacsés » (ce mot apparaîtra bientôt, sans doute, dans les
dictionnaires), dans la plupart des cas, n’ont pas à craindre une
réaction malveillante de leur entourage habituel s’ils légalisent une
situation qui était déjà connue de celui-ci.
S’ils veulent annoncer cette légalisation en se bornant à indiquer leurs prénoms, c’est donc à destination de leurs amis qui pourront les
reconnaître et vivent la même situation qu’eux. Sans doute pour les
inciter à en faire autant, à les imiter. Mais cette situation est aussi un signe inquiétant : tout cela se passe à l’intérieur d’un petit monde, d’une communauté fermée. Qui se manifeste bruyamment en public à l’occasion de défilés comme le » Gay Pride « . Mais qui, pour le reste – et les réactions de la société y ont largement contribué – se trouve en situation de ghetto, avec ses bars, ses boîtes, ses lieux de rencontres, ses réseaux de relations, et ainsi de suite. Or, au vu de ce qui se passe aujourd’hui – et qui évoluera peut-être – on peut se demander si le Pacs, contrairement à ce que souhaitaient certains de ses promoteurs, ne va pas contribuer à la ghettoïsation de cette communauté. »
par Jacques DUQUESNE