Aujourd’hui au moins je n’ai pas énormément de kilomètres à faire car l’artiste que je vais interviewer doit se produire en concert dans une salle qui se trouve à peine à quelques centaines de mètres des locaux de CitéGay. Un grand gars au visage de bébé, qui démarre la promo de son incroyable deuxième album sur des chapeaux de roue, arrivé en tête des charts aux côtés du génial Mika. Tellement proche que j’arrive même en avance sur les lieux mais on m’annonce très vite que le planning a été un peu décalé car notre nouveau phénomène, venu d’Angleterre, s’était un peu égaré dans les rues de Paris, et n’avait pas trouvé tout de suite la salle de concert. Lui ? Il s’appelle Jack Allsopp, mais a choisi Just Jack comme nom d’artiste. C’est simple et ça lui va bien, même si analyser sa musique n’est pas pour autant chose facile. On pourrait faire court et dire qu’il s’agit d’un mélange de hip-hop blanc à la The Streets, de dance, de rock, de disco, de funk et de house. Mais même là c’est probablement encore bien réducteur. Disons qu’il s’agit d’une musique kalëidoscope très riche, dominée par une gouaille et un accent à la Trainspotting (d’ailleurs Jack a bien connu les rave parties) qui personnellement, ne sont pas fait pour me déplaire. Pour te donner une idée, souviens-toi du Printemps du Cinéma, car la chanson de Just Jack Writer’s Block, avait servi de bande son à sa campagne de promotion. Le temps d’aller manger un morceau au fast-food du coin et de me repointer sur les lieux. Le nouveau protégé de Sir Elton John, me fait signe qu’il est prêt et nous nous engouffrons dans sa loge. Une grande simplicité se dégage de ce grand mec souriant, pourtant au top des charts britanniques. Le tête à tête peut commencer :
Tof : Salut Jack, merci de m’accorder un instant avant de te produire sur scène. J’en profite tout de suite pour te demander comment tu te sens car je sais que beaucoup d’artistes étrangers vivent la confrontation au public français comme un test, car celui-ci a la réputation d’être très difficile.
Just Jack : A vrai dire pour le concert de ce soir je ne suis pas très inquiet car je suis déjà venu jouer en France, notamment à Strasbourg, Dijon et Paris et c’était à chaque fois quelque chose de dingue. En fait on peut même dire que je n’avais jamais vu un tel public !
Tof : J’avoue que j’ai écouté ton album avec beaucoup d’a priori car la presse te qualifie d’artiste hip-hop et que je ne suis pas très fan de ce genre de musique, a priori plutôt agressive, sexiste et homophobe, ce qui ne te correspond pas du tout. Je l’ai vraiment adoré… Comment expliques-tu cela ?
Just Jack : Oui en fait, je ne suis pas du tout d’accord avec l’étiquette « hip-hop » qu’on me colle. Les gens ont du mal à mettre un mot exact sur mon style de musique. Il contient bien sûr quelques touches de rap, mais aussi énormément d’éléments tirés de nombreux styles musicaux différents. Il y a du disco, de la house, du trip-hop, du funk, du classique et j’en passe. Peut-être que la façon dont je fais de la musique, en home studio en utilisant des samplers, des loops et des beats, y est pour beaucoup dans la façon dont je suis perçu. C’est une attitude qui va souvent avec la musique hip-hop, mais c’est le raccourci reste facile.[Sourire] C’est vrai, d’ailleurs j’ai bien du mal moi-même à décrire ma musique. Il y a beaucoup de choses intéressantes dans le hip-hop, comme le style d’écriture, mais je suis loin d’adhérer à tout ce que ce courant implique, et c’est probablement aussi pour ça que je trouve que c’est cool de lui appliquer d’autres styles. Sinon on tombe vite dans un côté monotone qui peut m’ennuyer rapidement. Je te rassure j’ai aussi beaucoup de mal avec la musique agressive et je ne suis pas du genre à sympathiser avec des personnes qui appellent au crime dans leurs chansons ! [Rires] D’un certain point de vue je trouve qu’il y a quelque chose de féminin dans la musique et je détesterais faire des shows devant des mecs qui grognent sans arrêt. [Grrrrr, il joint le geste à la parole]. Trop de testostérone, ce n’est pas très indiqué !
Tof : En tout cas beaucoup d’artistes semblent vouloir s’y mettre en ce moment. Elton John, Duran Duran, Nelly Furtado, Bjork, Madonna, tous veulent travailler avec Timbaland ! Est-ce que d’après toi cela veut dire que l’image du hip-hop est en train de changer ?
Just Jack : Probablement oui, et particulièrement en Amérique. Là-bas les producteurs deviennent de vraies superstars. C’est un phénomène qui n’existait pas dans les années 80 par exemple. Tout le monde se contrefichait de savoir qui allait produire le nouveau Elton ou le nouveau Police. Aujourd’hui ça a pris de sacrées proportions. Le nom du producteur figure jusque dans le clip, si ce n’est pas le producteur lui-même d’ailleurs ! C’est peut-être signe que le hip-hop est en train de se diversifier en fait, car j’ai le sentiment qu’il avait tendance à tourner en rond, à devenir ennuyeux même ! Heureusement cette musique prend d’autres directions et c’est ce qui fait probablement que des artistes complètement inattendus s’y intéressent .
Tof : Parlons de cette grande diversité de styles, qui marque ton univers, comme si chaque style était un langage de la tour de Babel et que tu voulais y rétablir l’harmonie.
Just Jack : Et bien écoute merci pour l’image. En fait c’est exactement ce qui m’intéressait ! Dès que j’ai commencé à être dj, j’étais fasciné par les mixes et la manière de faire s’accorder des sons organiques avec des sons plus électro, voire même disco, juste pour voir quel résultat ça pouvait donner .Le titre Symphony of Sirens, présent sur l’album, illustre assez bien cette idée. Il est constitué d’un beat très saccadé et tout à coup arrive une espèce de rythme salsa au piano. A priori rien ne pouvait laisser entendre que ces deux éléments pouvaient être compatibles, et pourtant ça fonctionne ! Ca tient du miracle et je suis toujours fasciné quand ça arrive ! Ce côté totalement inattendu, c’est précisément ce que je recherche.
Tof : J’ai lu que tu n’aimais pas le rock. Est-ce que c’est parce que les rockers ont l’habitude de détruire les meubles dans les chambres d’hôtel qui jalonnent leurs tournées ? [Rire] (Just Jack a été designer en meubles ; ndlr)
Just Jack : Pas du tout ! En fait ce n’est pas vraiment exact . Pour être précis, je n’aime pas les éléments agressifs du rock . On en revient toujours à la même chose ! [Sourire] Tu sais lorsque j’étais plus jeune j’ai le souvenir vague d’une guitare électrique, mais je me suis vite aperçu que j’étais beaucoup plus fan de musique purement électronique, à base de loops et de beats. J’ai ensuite appris à m’ouvrir à d’autres styles, et j’en ai écouté beaucoup. En fait je ne suis pas fou de guitares si ce qui en sort n’est pas funky. Et puis si j’apprécie des groupes comme The Killers ou The Rapture, c’est surtout parce qu’ils utilisent des synthés et que leurs titres restent sacrément dansants.
Tof : Ta chanson Starz in their Eyes, tu critiques les programmes TV de type Pop Stars, et tu te questionnes sur l’idéal des personnes qui par ce biais, veulent à tout prix accéder à la célébrité. Toi-même, comment vis-tu ta célébrité ?
Just Jack : Et bien tu sais je n’ai jamais vraiment voulu être célèbre. C’est pourtant ce qui arrive lorsque des gens commencent à écrire des choses fausses sur toi, ou que tu deviens la proie des photographes lorsque tu es en vacances. Moi j’essaie de garder la tête en dehors de tout ça . A la base, j’espère que le public vient me voir plus pour ma musique que pour moi-même . Tout cela ne veut finalement rien dire. C’est du fabriqué, du faux ! Il y a un côté terrifiant à voir à quel point les gens peuvent être obsédés par la vie des people. Malheureusement cela veut souvent dire que leur propre vie ne leur donne pas ce qu’ils attendent .Ou simplement ils veulent avoir quelque chose à raconter le lendemain au petit déjeuner. Savoir ce que fait un chanteur, avec qui il sort, qui il aime, est-ce que tout ça est vraiment intéressant ? C’est aussi de tout cela que parle Starz in their Eyes .
Tof : Le premier singleWriter’s Block parle quant à lui plutôt de l’angoisse de la page blanche pour un écrivain, et j’ai cru y comprendre que tu avais plus de facilité à écrire lorsque tu es amoureux .
Just Jack : [Rires] C’est étrange car les personnes qui entendent cette chanson ont tous une idée plus ou moins fausse de ce qu’elle raconte . Tu t’es complètement planté ! [Rires] En fait le point de départ a été un matin où je ne savais vraiment pas quoi écrire, et où je me suis demandé ce qui pourrait m’aider à être plus créatif. J’y parle notamment de Mary Jane, mais ce n’est pas une girl-friend, c’est surtout une métaphore pour parler de drogue, et du fait qu’on est beaucoup moins créatif lorsqu’on en a pris, et d’ailleurs beaucoup de personnes m’ont dit avoir essayé d’arrêter les conneries après avoir entendu cette chanson. C’est plus une chanson sur le laisser-aller, et le mal être que cette situation peut engendrer. A la fain de la chanson tout va mieux car je réussis à me défaire de Mary Jane .
Tof : C’est un vieux souvenir de rave party ?
Just Jack : Oui tout à fait, une époque où je pouvais me sentir particulièrement paresseux, et passer beaucoup de temps affalé sur un canapé, et le regard vide. Dans ces moments là tu ne peux ni bouger, ni écrire, ni faire quoi que ce soit. Certains aiment cet état, mais moi il a fallu que je me bouge. Cette chanson parle aussi de ce qu’il faut faire pour arriver à quelque chose dans la vie, tout simplement.
Tof : Quel est ton degré d’implication en ce qui concerne tes clips très réussis ?
Just Jack : En fait pour mon premier album The Outer Marker, je me suis essayé à la conception de clip vidéo et je dois dire que le résultat était une merde absolue [Rires]. Non mais vraiment c’était très mauvais ! En même temps ça a eu au moins le mérite de m’apprendre que pour faire un vidéo clip valable, il faut avoir un budget et un minimum de savoir-faire. Si tu n’as aucune expérience sur le sujet et que tu ne sais pas comment t’y prendre, ton travail ne sera jamais satisfaisant. Crois-moi c’est assez frustrant quand l’idée est bonne mais que le résultat est une bouse ! C’est là que tu t’aperçois qu’il est primordial de t’entourer d’une vraie équipe de pros.
Tof : Ton premier boulot étant designer de meubles, je pensais que tu avais également participé à la conception de la couverture de l’album .
Just Jack : Et bien non, mais j’ai tellement suivi les opérations, que c’est finalement tout comme ! Plusieurs graphistes m’ont soumis leurs propositions à partir de mes indications, et je les ai guidé. J’avais des idées très fortes de que je voulais et de ce que je ne voulais pas. Et ce qui est marrant c’est que le visuel de la pochette a évolué en même temps que l’album. Au fur et à mesure on m’envoyait des roughs, et je n’étais jamais vraiment satisfait. Le travail a été rectifié à l’infini, pour un résultat correspondant finalement totalement à ce que j’aime.
Tof : Selon toi quelles différences y a-t-il entre tes deux albums The Outer Marker et Overtones, et aussi les points communs ?
Just Jack : Je pense que la manière d’écrire est toujours similaire, et que les paroles gardent leur importance prépondérante au centre de la musique. Maintenant, les chansons de Overtones sont probablement plus personnelles car elles parlent plus volontiers des sentiments qui me travaillent, des problèmes de ma vie, des choses qui m’effraient par rapport à des histoires que d’autres m’ont racontées, et pour lesquelles je crée des personnages. Je pense aussi que la production du deuxième est bien plus évoluée que sur le premier. J’y ai utilisé plus de synthétiseurs par exemple. The Outer Marker était plus Down Tempo, voire Chill out. Il faut dire qu’à l’époque j’écoutais beaucoup Air ou Zero Seven. Overtones est plus fait pour danser. C’est un condensé de tout ce que j’aime en musique. J’adore la House Music par exemple et je m’y suis attaché à essayer de retranscrire son énergie en y ajoutant des éléments d’autres styles . Il sonne plus électronique, plus moderne, et plus frais. Je l’ai aussi abordé avec plus d’assurance car pour le premier, je me lançais un peu dans le vide, et je me souviens avoir beaucoup plus galéré pour obtenir ce que je voulais .
Tof : En ce moment tu penses déjà à l’album qui va suivre en l’écrivant peut-être sur la route ? Dans quelles circonstances écris-tu habituellement ?
Just Jack : [Rires] Je ne m’attendais même pas à me retrouver là où je suis actuellement et je suis donc surtout intéressé par le moment présent, alors penser à la suite ça reste un peu flou encore ! C’est vrai que j’ai toujours l’esprit en activité, et que je travaille régulièrement sur mon ordinateur portable. Je ne pouvais même pas espérer partir en tournée, et pour l’instant je suis surtout impatient de retrouver mon public. J’ai aussi produit quelques chansons pour d’autres, mais pour le moment je n’ai pas le temps d’être nerveux pour un prochain album.
Tof : Le dessin de l’album fait référence à un monde de cartoon, un peu comme sur celui de Mika . Peut-on dire que tu fais partie avec lui d’une nouvelle génération d’artistes hedonists, qui ne veulent pas grandir .
Just Jack : [Rires] Tu sais je pense que, même si on mélange tous les deux des tas d’influences, l’univers de Mika est vraiment très différent du mien. Si tu regardes bien les personnages qui figurent sur mon album, tu t’aperçois qu’ils sont tout de même assez torturés, voire monstrueux. Il y en a d’ailleurs un qui a la tête coupée en deux ! C’est un peu le sujet de la chanson Hold On, qui dit qu’on ne peut pas se saouler toutes les nuits et s’attendre à de grandes choses. Ca parle du fait d’assumer ses responsabilités, surtout si on est marié avec des enfants comme certains de mes amis, et qu’on doit gagner sa croûte et se payer une voiture. Je ne pense pas être immature. Les choses se font naturellement. Non ce n’est pas parce que j’aime faire de la musique pour les gens de ma génération que cela signifie que je pense que la vie est une grande fête ! Mais en même temps j’aime bien les gens qui sont des adolescents éternels de 15 ans. Il y a quelque chose de très Rock ‘n’Roll dans cette attitude.
Tof : Parle-moi de tes concerts ?
Just Jack : Ah la la, c’est une expérience unique avec mon groupe. Quand j’ai commencé les concerts beaucoup étaient surpris parce que je souris tout le temps sur scène ! La vérité c’est que c’est un réel plaisir de pouvoir jouer devant son public. J’aime beaucoup les gens qui sourient, même si de nos jours c’est presque mal vu, une chose folle! Sur scène je pense que notre enthousiasme est vraiment communicatif et le public ressort aussi des concerts avec le sourire! On essaie à chaque fois d’établir une réelle connexion avec lui et je crois qu’on ne s’en sort pas trop mal !
Tof : Et quels sont tes projets ?
Just Jack : Et bien nous tournons un peu partout en Europe en ce moment, et on espère venir participer à des festivals en France cet été. Beaucoup de festivals devraient arriver et pas qu’en France d’ailleurs à vrai dire ! Et puis le Japon et l’Australie font aussi partie des pays que j’adorerais visiter.
Un grand merci à toi Just Jack ! C’est avec l’impression de quitter un ami que je retourne au bureau, convaincu que notre homme ira loin. Plus tard le soir j’assiste à sa prestation, et c’est tout bonnement magique. Jack semble vraiment s’éclater sur scène et installe une réelle communion avec son public enthousiaste. Une ambiance de folie à laquelle participent ses musiciens complices, et une choriste particulièrement charmante et enjouée. Un vrai spectacle anti-morosité ! C’est décidé, à sa prochaine date en France je serai là !
Just Jack participera au printemps de Bourges le 17 Avril 2007
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La chronique de Overtones se trouve Ici
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