C’est officiel depuis lundi midi : Yves Saint Laurent, 65 ans, a dit « adieu » à la couture au cours d’une conférence de presse au siège de sa maison, avenue Marceau.
« J’ai choisi de dire adieu à ce métier », a dit le couturier, « mon prochain défilé, le 22 janvier, sera le dernier et sera en grande partie l’aboutissement » de ce que j’ai fait en plus de 40 ans.
YSL a aussi remercié ceux « qui ont cru » en lui, lui ont permis de créer sa maison et de poursuivre son travail d’artiste. Il a également « exprimé sa gratitude » à François Pinault de lui « permettre de mettre harmonieusement un point final à cette aventure ».
Héritier du style Chanel et légataire artistique de Christian Dior, Yves Saint-Laurent a révolutionné la mode au féminin en accompagnant l’émancipation de ses clientes et d’une époque.
Franchissant les frontières entre le vêtement de l’homme et celui de la femme, le couturier osa le premier le style androgyne avec son célèbre tailleur-pantalon ou son smoking féminin, captant avant tous les signes précurseurs de la mode unisexe.
« Chanel a libéré la femme, Saint-Laurent lui a donné le pouvoir », résume Pierre Bergé, compagnon et Pygmalion de celui que l’on surnomme le « maître de couture ». « Yves Saint-Laurent permet aux femmes de conquérir ce que la société réserve le plus souvent aux hommes : la liberté et ‘assurance que donne le vêtement », ajoute Pierre Bergé.
Yves Saint-Laurent et son fidèle mentor ont aussi été les premiers à développer à partir de 1966 une chaîne de boutiques franchisées, berceau du prêt-à-porter moderne.
L’aventure YSL a démarré en 1954 : cette année-là, Saint-Laurent qui vient de fêter ses dix-huit ans, est récompensé pour une première robe par le Secrétariat de la laine. Dans la même promotion, Karl Lagerfeld est distingué pour un manteau.
L’année suivante, il rejoint les studios de Christian Dior en tant qu’assistant-modéliste. En 1957, son talent est si évident qu’il succède à son maître. Sa première collection pour Dior est un succès mais Marcel Boussac, financier de la griffe, ne comprend pas le style avant-gardiste de son poulain.
En 1961, Yves Saint-Laurent et Pierre Bergé décident de créer leur maison de couture. Le couturier peut enfin imposer son style sans contraintes. Le succès est immédiat en imposant le pantalon féminin pour le jour. En 1968, la saharienne marque une nouvelle révolution.
Très proche du monde de l’art, le couturier créera de nombreux décors et costumes pour des ballets, revues, films et pièces de théâtre. Ses collaborations multiples avec l’actrice Catherine Deneuve feront d’elle son ambassadrice de cour. Le 29 janvier 1982, l’International Fashion Award des designers américains lui est décerné. L’année suivante, le couturier entre dans le Petit Larousse et le Metropolitan Museum de New-York lui consacre la rétrospective la plus grande jamais accordée à un couturier de son vivant: « Yves Saint Laurent: vingt cinq ans de création ».
Alors que Saint-Laurent créé, Pierre Bergé met en place un empire financier avec l’ouverture de 110 boutiques, la créations de licences d’accessoires mais aussi la mise au point de quelques uns des plus grands parfums du monde : « Y », « YSL pour homme », « Opium », « Jazz », « Kouros », « Champagne ! ».
En 1971, Saint-Laurent apporte une nouvelle pierre à la libération des mours alors que le couple à la ville comme à la scène qu’il forme au grand jour avec Pierre Bergé participe aussi à faire tomber les préjugés sur l’homosexualité. Pour la sortie de son parfum masculin, le couturier décide de poser nu devant l’objectif de Jeanloup Sieff.
Le 23 janvier prochain, Yves Saint-Laurent présentera sans doute sa dernière collection, en apothéose. Il fêtera alors quarante ans de couture et de mode au service des femmes. Le lendemain, Canal Plus diffusera une « nuit » Saint-Laurent avec deux documentaires exclusifs. Plusieurs livres paraîtront dans la foulée, tandis que les Galeries Lafayette consacreront au couturier une grande rétrospective.
Contrôlée en direct par Artémis, la holding de François Pinault, la griffe Yves Saint-Laurent Haute-couture est, aujourd’hui, une activité déficitaire, comme toutes les maisons, fastueuses « vitrines » et « boites à idées » du prêt-à-porter.
De notoriété publique, les relations entre Yves Saint-Laurent et François Pinault n’ont jamais été au beau fixe. La présence du couturier et de Pierre Bergé au dernier défilé Christian Dior, maison contrôlée par Bernard Arnault (LVMH), le rival, avait été très remarquée, confirmant une guerre larvée.
« Je n’ai qu’un regret, ne pas avoir inventé le jean. », a dit un jour Saint-Laurent, avant d’estimer que « la création, c’est la douleur ».
« Une femme qui n’a pas trouvé son style et qui ne se sent pas à l’aise dans ses vêtements, est une femme malade », a-t-il dit aussi quand on lui demanda de résumer son ouvre. « Cette femme n’est pas sûre d’elle et n’offre donc aucune des caractéristiques qui déterminent le bonheur ».